Je ne vais pas revenir sur la nullité du scénario, la pauvreté des personnages et leurs enjeux, mais plutôt attaquer clairement la fatuité avec laquelle Mélanie Laurent, pire que piètre réalisatrice, artificiellement soutenue par le petit milieu du show-biz qui, comme le disait JLG, habite le monde du cinéma mais n'est pas habité par lui; donc comment Mélanie Laurent s'en est pris à un genre dont l'exercice difficile n'est pas à la portée de cette tâcheronne: le film d'action. Mais Mélanie Laurent est une grande artiste, aux multiples aptitudes et talents et il faut voir avec quelle désinvolture elle parle dans une interview donnée à Konbini de la manière dont elle a abordé son film, je cite: « Mon dernier film Voleuses, c’est la première fois de ma vie où j’ai eu un vrai budget et je me suis quand même bien éclatée, donc je peux faire un plan d’hélicoptère pour avoir un plan vraiment très large?.. J’ai eu des drones, j’ai eu des steads! Donc je me suis amusée à beaucoup de choses… (je passe sur certains passages) J’ai eu une prépa d’un film (qu’elle n’a pas tourné, nous voilà chanceux!) pour Sony picture, j’avais des réunions avec des chefs de postes et avec mon chef op on leur demandait si 6000 figurants c’était possible et ils disaient pas de problème!... »
Voilà à quoi ça tient de faire un film d’action pour Mélanie; plus d’équipements, plus de pognons et là, elle s’éclate, Elle peut faire tous les plans qu’elle croit avoir bien vu dans d’autres films, mais force est de constater qu'elle n'en a guère compris les intentions et les refait mal en croyant ensuite s’en sortir par un montage à la rustine (voir la première scène de poursuite). Mais très chère Mélanie le film d’action n’est pas qu’une débauche de moyens et d’effets, les meilleurs film d’actions tentent de dire quelque chose de notre monde, ils sont l’expression d’une vision singulière parfois, d’une vision d’auteur. Regardez North by North-West d’Hitchcock, film matriciel de nombreux film d’actions (les James bond, les Die hard, les Mission Impossible) et la manière dont le cinéaste a fait passer la condition de l’homme ordinaire américain pris dans une structure de pouvoir qui efface toute singularité jusqu’à le prendre pour un autre, Kaplan, espion qui doit être éliminé. Hitchcock avait une vision claire de ce que devenait le pouvoir, un Léviathan qui écrase les individus jusqu’à ne faire d'eux que des pions pris dans une structure de contrôle qui les écrase. Et l’homme ordinaire n’a qu’un seul recours pour s’en sortir, lui-même, c’est à dire ses bras pour se débattre et ses jambes pour courir; il n’a qu’un seul recours: l’Action.
Si je me suis permis cette digression par Hitchcock c’est que son film me semble le plus à même d’exprimer l’essence du film d’action qui passe par le corps de ces interprètes et à l’instar de films burlesques ou de la comédie musicale, d’interprètes qui sont capables d’exprimer ces aptitudes pour l’action sans trop d’artifices ou de cache-misères opérés par le montage, c’est à dire d’interprètes qui se sont entrainés pour. Toutes les scènes d’action de voleuses sont sauvées de la débâcle par un montage cache misère car ses interprètes ne sont pas physiquement à la hauteur de l’enjeu. Ce n’est qu’à la condition d’une parfaite aptitude et dévotion physique de ses interprètes que le réalisateur de film d’action peut développer une réelle mise en scène et c’est toute l’intelligence d’un interprète comme Tom Cruise qui sait que c’est la condition pour faire un bon film d’action. Mélanie Laurent a dû trop être bercée par un Micheal Bay et ses dispositifs multi-caméras qui ont dû lui faire croire que l’on pouvait sauver un film au montage. Ce qui doit se produire au tournage ne se produira pas au montage et pour un film d’action c’est la réalité des corps qui se débattent captée par la caméra sans recours à un montage qui ment, qui masque, qui enfle, qui en fait toute la valeur. La mise en scène c’est alors choisir de découper l’action afin de rendre l’activité de ces corps dans des espaces qui les enferment ou qui les écrasent, de rendre les forces qui les projettent, qui les empêchent, exactement ce qu’exprime le burlesque autrement mais si proche, ou la comédie musicale. En parlant de ce dernier genre, s’il y a une scène qui démontre toute l’inaptitude de Mélanie Laurent à réaliser ce type de film c'est bien la scène dansée, où nos trois action girls tentent de faire diversion par une chorégraphie censée émoustiller une bande de sales types qui se met sur leur chemin. Ce type de scène, la chorégraphie, se doit impérativement de fonctionner en plan large sans avoir recours au montage, si ce n’est pour des plans rapprochés ou des changements d'axe qui ajoutent aux intentions du réalisateur, mais ne sont pas utilisés pour cacher l'incompétence des interprètes par des cadrages et des raccords douteux. Cette séquence a dû, j’en suis sûr, être une énorme galère au montage vu l’inaptitude des actrices à danser à peine masquée par un découpage qui ne travaille qu’à ça. Le résultat est que la scène ne fonctionne pas et qu’on se demande ce qui peut bien émoustiller les bad guys. Il aurait été mieux de les faire s’effondrer de rire devant le ridicule de ces trois héroïnes, ça aurait alors peut-être montré que la réalisatrice consciente de ses limites avait au moins de l’humour.
C’est d’ailleurs sur l’humour que je vais achever cette critique et là il est plus question de technique dramaturgique. Le rapport qu’entretiennent nos deux personnages principaux est clairement de la catégorie du buddy movie. Mélanie Laurent comme pour le reste aurait été bien avisée de regarder mieux des films faisant appel à cette dynamique et dans les meilleurs ceux écrits par Shane Black (les Lethal Weapon, A long kiss goodnight), car elle n’en a pris que la posture sans en analyser les ressorts. A contrario de son appellation, dans la plupart des bons films faisant appel à cette dynamique entre les personnages, les Buddies ne sont pas très amis, il est même souvent question en début de film d’une réunion des contraires que rien ne saurait réconcilier. C’est par les péripéties que les personnages vont traverser que le rapprochement va se faire et qu’une amitié presque contre nature va naître, ce qui en fait toute la saveur. Dans Voleuses de saveur il n'y en a point, puisque qu’elles sont déjà complètement acquises l’une à l’autre et qu’aucune péripétie ne remettra rien en cause, donc aucun véritable enjeu entre les protagonistes ne pourra être développé.
Je ne peux pas cacher que la rédaction de cette critique a été motivée par une certaine colère, la colère de voir un film fait par quelqu’un qui a autant de mépris pour le genre, pour ses pairs et surtout pour le public. Il serait bienvenu que cette réalisatrice prenne conscience de sa vacuité et que la honte lui monte à la gorge, cette même honte que j’ai ressentie à la vision de son film. Il y a, j’en suis sûr, des cinéastes jeunes et moins jeunes, qui ne bénéficient pas de la complaisance d’un petit monde qui se fout de la qualité des films, mais qui portent en eux la passion, la vision et l’amour qui rendraient ce cinéma bien meilleur.