La fantaisie, camarade...
Vous connaissez cette blague que les russes se racontaient en secret au pire moment du stalinisme ? La maitresse comme tous les matins fait chanter sa classe pour bien commencer la journée :
- où est-ce que les enfants ont tous les beaux joujoux qu'ils veulent ?
- en union soviétiiiiique
- où est-ce que qu'on mange à sa faim pour presque rien ?
- en union soviétiiiiique
- où est-ce qu'il fait toujours beau et doux ?
- en union soviétiiiiique
- où est-ce que qu'on passe ses journée à rire et à danser ?
- en union soviétiiiiique
- où est-ce que le bonheur coule à flot ?
- en union soviétiiiiique
Mais au fond de la classe, le petit Yvan pleure tellement que la chorale finit par s'interrompre et la maitresse se penche pour lui demander ce qu'il a. Et le pauvre de répondre entre deux sanglots :
- je veux aller en union soviétique !
Et bien Volga Volga c'est un peu ça. Alors que le pays exsangue, décimé par la famine, les purges, les plans quinquennaux, voit les cadavres s'amonceler, la gabegie et la corruption régner en maître, les héros du film traversent en virevoltant un pays merveilleux, pour aller participer à des Olympiades musicales à Moscou. Le commissaire à l'artisanat d'une petite ville voudrait envoyer à la compétition le cercle de musique classique, mais le cercle de musique traditionnelle se rebelle et décide de partir lui aussi. Évidemment le chef du cercle classique et la chef du cercle traditionnel sont d'anciens amoureux fâchés, évidemment les numéros musicaux et dansés parsèment tout le délirant voyage, et évidemment tout finira bien, en chanson.
Qui ose encore dire, après des moments de bonheur aussi merveilleux que la Révolution a tourné court en Russie ? Non, elle a eu lieu, et ce fut un succès ! Pas dans les rues des villes, pas dans les campagnes, mais dans les films ! Les comédies d'Alexandrov, de Riazanov, de Barnett ne sont pas des œuvres de propagande, ce sont des odes à l'imagination, à l'utopie, et des déclarations d'amour au cinéma. Ici tout est possible, oui les hommes peuvent s'entraider, vivre ensemble et heureux, éradiquer le Mal et la souffrance. Ces films ne chantent la louange d'aucun dictateur, ils crient fièrement, à la face du monde entier, pour la noblesse du geste sachant la partie perdue : "Voilà à quoi ressemblerait la Vie si on s'en donnait la peine. Puisque que les peuples n'y arrivent pas, enfermons nous dans une salle de cinéma et rêvons."
Il parait que Volga Volga était le film préféré de Staline. Si c'est vrai ça prouve deux choses : qu'il avait plutôt bon gout, et que la mauvaise conscience ne l'étouffait pas, s'il pouvait supporter une image aussi fidèle de tout ce qu'il avait rendu une fois pour toute impossible en écrasant le pays sous son poing de fer, lui le vieux Guide inexorable et fou.