John Woo disparu des radars des cinéphiles du monde entier, Travolta et Cage ringardisés, le "style polar HK" totalement digéré par la machine hollywoodienne... : il est difficile de trouver en 2013 des raisons - autres que la pure nostalgie, bien entendu - de revoir ce "Face / Off" ("Volte / Face" en une curieuse traduction française qui faisait l'impasse sur "l'arrachage" haineux du visage du double / ennemi), un film qui nous avait tant excités en 1997. Pourtant, une fois accepté le caractère éminemment éphémère de ce cinéma aussi ambitieux que spectaculaire, revoir "Face / Off" ne constitue pas une déception aussi cruelle qu'on pouvait le craindre : les invraisemblances du scénario, qui raconte un peu n'importe quoi pourvu que cela fasse de l'effet, sont certes énormes, et les gestuelles de nos gunfighters ont pris le sacré coup de vieux qu'on anticipait... mais le non-manichéisme, voire l'anti-manichéisme de ce drôle de chrétien qu'est John Woo semble toujours terriblement pertinent, voire même occasionnellement brillant. Si l'on n'est plus aussi bluffé par les scènes d'action hystériques, désormais vaguement usées, on apprécie toujours autant les brillants jeux de miroir de la mise en scène et du montage de Woo, qui, alliés à la jouissance visible des deux acteurs à qui l'on demande de jouer une ambigüité inhabituelle dans le blockbuster d'action, minent en profondeur les codes de la représentation hollywoodienne des valeurs "américaines". Oui, "Face / Off" est bien un film "exotique", "chinois" peut-être, tant les notions de bien et de mal y sont sacrifiées en faveur d'une réversibilité théorique qui met à mal les mécanismes pavloviens de l'identification. Au final, même avec sa technologie désormais ringarde et ses excès de mauvais goût (tout-à-fait réjouissants, admettons-le), il se pourrait bien qu'il s'agisse toujours là du meilleur John Woo, ce qui n'est pas rien non plus.
[Critique écrite en 2013]