Gaspar Noe nous a habitué à nous ciseler la cervelle et nous bourrer la chaussure de cailloux, par la fièvre de son imagination débridée... dans ce film, au contraire il nous invite à affronter crûment l'implacable réalité du lent processus de dégradation du corps vieillissant... sans autre artifice que l'idée géniale de nous ouvrir bien grands les deux yeux avec un judicieux split-screen, efficace écarquilleur de paupières. Cette technique audacieuse nous permet de suivre de manière synchrone les deux personnages devenus étrangers l'un pour l'autre, perdus chacun dans leur propre labyrinthe intime, se rejoignant parfois dans de brefs moments de lucidité, par quelques pathétiques caresses-souvenirs de leur amour... leur permettant sans doute, malgré leur déni, de se rassurer avant de céder à l' "Enter the void" de la grande faucheuse, génialement illustrée par l'effacement progressif et implacable du demi-écran.
Cette ultime cruelle tranche de vie est remarquablement rendue crédible par la prestation bouleversante de Dario Argento habituellement plus spécialisé dans les frissons esthétiques du "Giallo" et par la renversante métamorphose de Françoise Lebrun.
Notre société n'a pas de réponses pour ces détresses non anticipées, et c'est surtout cet aspect tragique qui affleure ici et qui pourrait éventuellement dynamiser les réflexions des pouvoirs publics bien en panne sur le sujet.
Un film essentiel et percutant, d'utilité publique … c'est mon amie la rose qui l'a dit ce matin !
Nombre de cinéastes se sont emparés de ce sujet sensible en le traitant différemment mais selon moi, les trois films qui se détachent brillamment de tous les autres sont:
- Amour de Haneke beaucoup plus subtilement ingénieux... un sommet du genre
- Quelques heures de printemps de Stéphane Brizé qui met en lumière avec une finesse inouie les états d'âme de ses personnages.
- Les fraises sauvages d'Ingmar Bergman dans sa description inspirée de la fuite inexorable du temps.