« Quand approche le Festival de Cannes, Gaspar Noé se dépêche de faire un film » s’amusait Thierry Frémaux en introduction de la projection de Vortex à « Cannes Premières », la section inaugurée en cette édition particulière. Il ne croyait pas si bien dire : alors que le cinéaste obtenait pour la première fois l’avance sur recettes du CNC en mars dernier pour ce projet, il était à Cannes en juillet pour le présenter en toute fin de festival. Surprise, ce nouvel opus n’est pas qu’un bâclage chiqué, genre de faux événements dont Noé a le secret, mais au contraire un vrai beau film aussi candide que juste. Retour sur une belle et triste surprise.
Contrairement à nombre de nos collègues partageant notre passion pour les cinémas de genres, nous n’avons pas toujours été tendres avec Gaspar Noé. Au retour du festival de Cannes 2018, j’exprimais déjà une certaine déception quant à son Climax (2018) qui m’apparaissait aussi vain que creux, douchant les espoirs nés avec la douceur adolescente du beau et naïf Love (2015). Mon compère Alexandre Santos n’hésitait pas, quant à lui, à parler de « naufrage » (lire l’article) concernant la sortie presque conjointe de Lux Aeterna (2019) et de la consternante « inversion intégrale » d’Irréversible (2002). J’étais moins sévère que lui concernant le premier car, bien qu’il s’avérât plus que dispensable, cet exercice de style de commande (c’est la maison Yves Saint Laurent qui en était à l’origine) renouait avec une certaine jubilation formelle, plus modeste qu’à l’accoutumée, et n’était pas sans réussite à ce niveau. Son parti pris esthétique – presque l’intégralité des 52 minutes se déroulait en split-screen – et sa savoureuse idée de casting – confronter Charlotte Gainsbourg et Béatrice Dalle – permettaient d’éviter l’ennui devant quelques intentions plus pénibles, et laissait espérer des jours meilleurs dans sa filmographie. Vortex, derrière son titre pompeux, repose sur les deux mêmes, et bonnes, idées. Seulement, cette fois sa fiction en écrans partagés dure 2h20 et repose sur les épaules d’un casting encore plus surprenant : un couple soudain menacé par la sénilité incarné par Dario Argento et Françoise Lebrun. Projeté en toute fin de festival, ce nouveau Noé nous a, admettons-le, cueilli. Malgré ses longueurs et ses errements, il s’est imposé à nous, avec une douceur et une empathie qu’on osait plus attendre du cinéaste de Carne (1991). Vortex raconte donc, comme Amour (Michael Haneke, 2012), la déchéance d’un couple de personnes âgées. Tandis que la femme perd progressivement ses moyens et sa mémoire, l’homme tente de se maintenir en écrivant un livre, et leur fils, ancien toxicomane, se trouve dans la position de devoir les materner. Surtout, au-delà de la perte de mémoire, c’est la mort qui rode, bientôt prête à engloutir ce couple délicieux qui, au début du film, s’émerveillait de leur existence depuis leur terrasse. « La Vie est un miracle » lui disait-elle. Il acquiesçait.
On voit déjà comment les détracteurs y trouveront des choses à redire, comme ils regretteront que l’œuvre ne repose encore que des idées malines accumulées. C’est vrai que, sur le papier, il y a quelque chose qui paraît un peu trop malin là-dedans. Un dispositif formel tape-à-l’œil, un casting improbable mais, pour tous cinéphiles, terriblement excitant – la rencontre du cinéma de Jean Eustache et du Giallo, deux sommets esthétiques des années 70 – tout cela allié à une rapidité d’exécution qui peut légitimement interroger. La réussite de ce nouvel opus tient justement du fait que Noé n’essaye pas cette fois d’aller plus loin que ses bonnes premières pistes et les poussent jusqu’au bout avec une candeur et une émotion qui font respirer pour le mieux son cinéma. Bien-sûr, plus de deux heures en split-screen et sur un mode presque documentaire, c’est long, et le film et son dispositif se révèlent incontestablement inégaux. Par endroits, la forme se justifie moins et se perd un peu, tout comme le récit qui manque de lignes de force mieux agencées. Aussi, Noé ne peut s’empêcher de parasiter son œuvre de quelques scories regrettables – par exemple avec l’inévitable personnage de toxico, donnant lieu à un rapprochement maladroit entre les drogues dures du fils et les médicaments de la mère – et de répliques pas toujours fines et gratuites – en particulier concernant le livre écrit par Argento, dont on discute avec Philippe Rouyer, qui fait ici une apparition dispensable. Reste que, étonnement, tout cela tient, sur la corde, et ce notamment grâce à trois grands moments qui ponctuent le récit, lui donnant une étonnante ossature.
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