Les vieux ne meurent pas, ils s’endorment un jour et dorment trop longtemps

Sur Vortex, on a dit, on a lu partout que Gaspar Noé s’était apaisé, qu’il avait gagné en maturité. Qu’il avait mis de côté les scènes choc, ces scènes qui ont fait sa réputation de trublion du sérail. Mis de côté les stroboscopes, les éjaculations en gros plan, les coups d’extincteur dans la gueule. Et la violence. C’est absolument vrai, sur tout, sauf sur la violence. Parce que Vortex parle bien d’une violence, absente en apparence, absente à l’écran, mais terrible et profonde, inexorable en fait : celle de la vieillesse, de la décrépitude en action. Michael Haneke, dans Amour, avait déjà abordé le sujet avec le succès que l’on sait (palme d’or, Césars, Oscar, etc.).


Noé s’y frotte à son tour, et à sa façon bien sûr, poussé par des volontés personnelles (sa grand-mère, sa mère, Philippe Nahon…) et parce que l’envie de tourner un film avec des personnes âgées le travaillait depuis plusieurs années. À l’instar d’Amour donc, l’idée est d’observer un couple vieillissant confronté à la maladie (de madame, rongée par l’Alzheimer) et à la fin de vie, leur progéniture (une fille chez Haneke, un fils chez Noé) assistant, impuissante, à la lente et cruelle expiration des choses. Noé ne pouvant décidemment pas faire comme tout le monde, ne pas faire un film "normal" (ceci n’est pas un reproche, au contraire), il reprend ici le procédé du split screen expérimenté sur Lux æterna (ainsi que ces clignements noirs utilisés dans Enter the void).


C’est bizarre, et puis agaçant il faut le reconnaître, parce que le dispositif semble à la fois bien trouvé, hyper logique dans sa fonction première (elle et lui chacun dans sa solitude, que la maladie éloigne au fur et à mesure, sépare forcément), et en même temps trop flagrant, un rien scolaire par rapport à ce qu’il montre. Le film d’ailleurs n’aura de cesse de provoquer ces sentiments partagés, d’être traversé, en permanence, par des appréciations diverses. On trouvera par exemple que pas mal de scènes s’étirent inutilement, se déploient trop lentement, tout en admettant que cet étirement et cette lenteur participent, à leur manière, à une sensation d’immersion totale (et d’étouffement) dans un quotidien âpre, un champ intime qui se détraque, voué à disparaître.


Les quarante premières minutes du film sont assez symptomatiques de ces querelles de jugement. Quarante minutes quand dix-quinze pouvaient suffire ? Laisser macérer, quitte ici et là à ne pas raconter grand-chose, à radoter même, ou nous faire comprendre de suite ce qui paraît évident ? Comprendre qu’elle est perdue, perdue dans la rue, dans les magasins (les scènes où Françoise Lebrun déambule et s’égare dans les rayons labyrinthiques de petites échoppes sont interminables), perdue même chez elle, dans cet appartement croulant sous les livres et les objets et les boîtes de médicaments, et lui dans son coin qui ne pense qu’à son livre (parfois à sa maîtresse) qu’il est en train d’écrire sur le cinéma et les rêves.


On trouvera aussi, parfois, le film laborieux, presque démonstratif dans certains de ses effets (les lumières rouges quand le père a une attaque, le tourbillon de merde et de gélules dans les toilettes, le petit-fils qui apparaît au moment où son père se drogue…), mais parfois beau et bouleversant quand Noé vise l’ultra simplicité (la succession de plans fixes de l’appartement qui se vide, d’une vie qu’on remise). Enfin, on trouvera que le jeu des acteurs, basé exclusivement sur l’improvisation, n’arrive pas toujours à tenir la distance, à s’affranchir de l’exercice, celui d’Alex Lutz en particulier qui, de temps en temps, paraît ne plus savoir quoi dire ni quoi faire, quand celui de Lebrun en revanche émeut beaucoup. Sur Vortex, on dira donc que oui, Noé apaisé, Noé mature, Noé soft, Noé libéré. On dira aussi que c’est un film à l’image du split screen, finalement : qui divise, constamment.


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mymp
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le 17 avr. 2022

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