Oublier l'autre, s'oublier soi, n'être qu'un corps vide de sens, tout lui échappe, elle croit savoir mais ne sait plus, revient à elle momentanément puis disparaît à nouveau. Pendant que lui continue, qu'il veut continuer, qu'il écrit un livre sur le cinéma et les rêves, elle passe de la table au canapé, de son lit à la salle de bain. Elle se fige pour essayer de se rappeler, ce qu'elle fait, dans quel but, elle croit savoir et fixe un nouvel objectif qui n'est en fait lié à rien, sitôt qu'il semble avoir du sens déjà le sens lui échappe. Parfois elle le croise mais beaucoup il l'évite, il n'a pas que ça à faire, elle perd la tête, elle l'empêche d'écrire, il ne peut pas se permettre de courir la rue pour aller la chercher au fin fond de la supérette pour ne rien acheter. Il ne sait pas quoi faire d'elle et de son absurdité, il appelle son fils au secours, viens s'il te plaît, ta mère...mais le fils ne sait pas plus, il ne sait déjà pas pour lui-même, se débat dans sa propre existence, il doit, pour son fils, il essaie, mais la vie, ses exigences, et sa propre fragilité.
Alzheimer s'est invitée. Elle est psychiatre alors les ordonnances elle se les écrit, et la pharmacie lui dit mais non Madame, vous savez bien, on peut rien vous donner, faut arrêter les ordonnances, parfois, avec son mari, malade du cœur, les médicaments se mélangent, leur fils les met en garde, attention les médicaments, papa, faut pas les mélanger, c'est fort, oui oui, et les médecins papa, tu les as appelés ? Oui oui, oui oui, j'ai fait des listes....
Le film explore l'extraordinaire de l'ordinaire, la difficulté de la maladie qui rend absent à soi-même, qui rend le monde étranger, qui fait s'envoler l'essence de ce qui nous constitue, la pensée, le langage. La difficulté pour ceux qui doivent gérer au présent, la difficulté à faire face, à prendre en charge, à prendre soin, à accepter. Le double écran retranscrit avec poésie comment la vie s'arrête pour l'une et se poursuit pour l'autre, au milieu des vestiges de l'existence passée, un appartement plein à craquer de livres, d'objets et de vieux posters évoquant d'anciens combats politiques.
Un film tendre qui pardonne beaucoup, et accompagne la fatalité avec un regard particulièrement humain