Bertrand Tavernier a vraiment beaucoup de talent pour parler du cinéma (français, en l'occurrence) qu'il affectionne. On pouvait déjà en avoir une petite idée, au détour d'une présentation de film dans laquelle il intervenait l'espace de quelques minutes, mais c'est une chose acquise suite à ce documentaire de plus de trois heures (qu'on ne voit pas passer). En évoquant son histoire du cinéma français, colorée par sa vision mais aussi ses conditions de visionnage, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il dresse presque autant son propre portrait que celui de quelques grands réalisateurs, acteurs, directeurs de la photo, scénaristes et autres compositeurs.
Le projet, qui n'en est qu'à son premier volet, ne s'adresse cependant pas à n'importe qui : avec ses 3h15, ses centaines d'extraits d'une centaine de films, et en circonscrivant son propos au cadre des années 30 à 70, il faut avoir un minimum de curiosité pour se lancer dans cette histoire. Mais à partir du moment où l'on est suffisamment curieux ou connaisseur (les deux approches sont possibles, différentes), le discours de Tavernier, peut-être plus cinéphile que cinéaste ici, s'emplit d'un enthousiasme très largement communicatif. Le voyage est bien sûr subjectif, bien mené, au fil de ses souvenirs et de ses premiers émois cinéphiles.
Du point de vue du cinéphile, on voyage à travers les filmographies de Jacques Becker, Jean Renoir, Marcel Carné, Jean Gabin, Claude Sautet, et celle des compositeurs Maurice Jaubert et Joseph Kosma comme autant de madeleines savoureuses. Il évoque plus rapidement certains autres noms (Claude Chabrol, Jean-Luc Godard), et parvient à susciter un intérêt immense pour des personnalités que l'on ne connaissait absolument pas (Eddie Constantine, pour ma part). L'ensemble est assez bien balancé entre contenu formel et anecdotes, entre l'enthousiasme pour certains films et le dégoût pour d'autres (de manière ponctuelle, forcément) : l'entendre raconter la réaction de Gabin à propos de Renoir est plutôt savoureux ("Renoir, comme metteur en scène : un génie. Comme homme : une pute").
Du point de vue du cinéaste, Tavernier évoque ses débuts en tant qu'assistant de Jean-Pierre Melville, avant de devenir attaché de presse sur ses conseils. On s'amuse des querelles entre fortes personnalités (scénaristes, acteurs, réalisateurs, critiques), comme le scénariste Henri Jeanson qui fait semblant d'oublier le nom de Marcel Carné ou encore Jean-Paul Belmondo engueulant copieusement Melville au sujet de son manque de respect vis-à-vis du reste de l’équipe de tournage. Les anecdotes ne sont bien sûr par une fin en soi, mais elles éclairent parfois certaines personnalités, entre une leçon de mise en scène et une déclaration d’amour. Il évoque aussi des relations plus contrastées, comme celle qu’il entretint avec Pierre Schoendoerffer, et derrière laquelle on sent poindre de légères mais solides divergences de point de vue enveloppées dans un profond respect mutuel.
L’ensemble n’est pas irréprochable, mais l’enthousiasme et la gourmandise avec lesquels Tavernier nous invite à voyager se suffisent presque à eux seuls. On sort de ces trois heures avec une furieuse envie de découvrir de nombreux films et de nombreuses personnes : mission réussie.
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