Il était temps : après les volets américains et italiens par le maître archiviste Scorsese, Tavernier reprend le flambeau pour éclairer notre patrimoine national. Son Voyage à travers le cinéma français, fleuve de 3 heures et quart, opte pour une subjectivité qui désactive toute possibilité de muséographique poussiéreuse.
Comme il l’a expliqué avec force à l’issue de la projection, (et un franc parler qui a permis aux pénibles interventions sur le modèle du « je suis étonné de ne pas avoir vu mentionné Untel » de se modérer), il n’évoque pas le muet et s’arrête aux années 70, lorsqu’il commence à devenir lui-même cinéaste.
Le film se construit au fil de ses souvenirs de cinéphile, de ses premiers chocs visuels à son entrée dans le métier, notamment comme assistant de Melville. N’hésitant pas à évoquer ses plaisirs coupables, comme son fanatisme adolescent pour Eddie Constantine, ou à dénicher des cinéastes peu connus comme Edmond T.Gréville et Jean Sacha, il fait autant œuvre de mémoire sur les chefs d’œuvre qu’il parvient à susciter de nouvelles découvertes.
Le parti pris est aussi celui de la lenteur. En assumant ses choix qui laissent de côté des auteurs gigantesques comme Ophüls par exemple, dont on ne voit qu’un extrait, il accorde près d’une demi-heure à Jacques Becker ou Jean Renoir, se laissant le temps d’analyses et d’extraits aussi minutieux que comparatistes : c’est dans ces passages, comme ceux consacrés à Melville ou Sautet, qu’on est le plus happés par l’enthousiaste du cinéphile, autant critique que cinéaste.
La mise en scène est ainsi décortiquée, avec un mot d’ordre d’autant plus important pour Tavernier, dont on connait l’érudition sur le cinéma américain : rendre au cinéma français ses lettres de noblesse et en révéler la puissante modernité. Les anecdotes qui parsèment son œuvre où la voix off omniprésente accompagne chaleureusement le spectateur accentuent la fluidité et la truculence de cet ensemble dont la longueur n’est jamais un handicap. Il se permet aussi quelques incursions du côté des acteurs – splendide éloge à Gabin- et des compositeurs français dont il veut qu’on reconnaisse enfin la valeur.
Le cinéphile navigue donc entre plusieurs formes d’enthousiasme : celui de voir exhumés des chefs d’œuvre, revalorisé un cinéma dont on fustige trop souvent l’inertie, et porté par un élan d’aller plus loin pour en découvrir les trésors cachés.
Une œuvre nécessaire et revigorante, qui se poursuivra à la télévision par une série de 8 ou 9 épisodes qui viendront combler les inévitables manques de ce luxuriant prologue.
Filmographie complète des références citées par Tavernier :
https://www.senscritique.com/liste/Voyage_a_travers_le_cinema_francais_de_Bertrand_Tavernier/2995906