Makoto Shinkai est un artiste, un peintre, un fabuleux paysagiste. Contemplez ce ciel lumineux, cette voute étoilée, ces subtils jeux de lumière. La Tour au-delà des nuages (2004) et 5 centimètres par seconde (2007) s’encraient dans une modernité photoréaliste, Voyage vers Agartha nous plonge dans un passé sublimé. Costumes, armes et harnachements sont impeccablement entretenus et tracés avec un fascinant souci du détail ethnologique. Il voue une évidente passion pour l’architecture, admirez le four à pain, le dallage coloré et la voute percée. Les outrages du temps n’ont en rien altéré la beauté froide des constructions. Jadis, Shinkai aurait rivalisé avec les grands peintres de ruines, Giovanni Paolo ou Panini Hubert Robert.
Que nous conte-t-il ? L’histoire est plus linaire que celles développées dans ses réalisations antérieures. Agartha est un compendium de traditions mythologiques. Ce monde souterrain pourrait avoir vaincu la mort. Souvenez-vous d’Orphée et Eurydice, des catabases d’Ulysse et d’Énée. Ses mystérieuses connaissances ésotériques suscitèrent les convoitises d’Alexandre le Grand, Tamerlan, Napoléon, Hitler et Staline... Ravagée, la cité a prohibé tout contact avec l’extérieur.
Voyage vers Agartha souffre, hélas, d’une fêlure interne. Pour faciliter l’identification d’un jeune public, le scénario se doit d’être simple. La quête de l’enfant meurtrie lui permettra, dans la douleur, de découvrir la joie. Courageuse, indépendante et malaimée, la jeune Asuna descend aux enfers, mais, que va-t-elle y chercher ? Un compagnon, un père ou une raison de vivre ? Que penser d’une héroïne aux motivations aussi incertaines ?
Asuna n’est guère aidée par des seconds rôles taillés au burin. Le professeur n’est qu’égoïste, les deux frères ne sont que courageux, la maman est très absente, le vieux sage est vraiment exagérément sage. Shun/Shin sont-ils super puissants ? Ils s’élancent par des bonds prodigieux, puis perdent leurs forces. Le dessin est trop lisse, les personnages semblent tirés de revues de mode. Miyazaki ose les laids, les gros, les grotesques : des seconds rôles (les pirates ou les vieillards), mais aussi des héros (Porco Rosso ou Yubaba). Plus triste encore, le bestiaire fantastique, manifeste hommage aux productions Ghibli, est sous utilisée. Les fabuleuses créatures sont désespérément muettes, amorphes et dépressives.
Au lieu de nous transporter et de nous faire frémir, Shinkai dilue ses rares scènes d’action dans des déluges explicatifs. Dommage.