A l'aune d'une société glorifiant le narcissisme virtuel et le filmage compulsif de l'intimité de tout un chacun il serait bon de revenir sur le Walden de Jonas Mekas. Tourné à la fin des années 60 ce journal de bord équivaut à un magnifique home-movie de près de trois heures, dans lequel Mekas confond sa vie et son métier de cinéaste ; il y présente des scènes de famille directement inspirées des prodromes du Septième Art : déjeuner, promenades, batailles de boules de neige... Dédié aux Lumière et à leurs vues cinématographiques originelles Walden réinvente les moments de vie voués à être imprimés sur la pellicule. Mekas célèbre son quotidien et les petits riens a priori anodins et/ou sans intérêts pour Autrui, prouvant que n'importe quel sujet peut être un bon sujet devant la caméra...
Avec une urgence et une boulimie filmique proprement bouleversantes Jonas Mekas décline son journal cinématographique sous la forme de six bobines granuleuses à la matière fortement prégnante. Inlassable, inclassable, à prendre ou à laisser Walden semble redéfinir l'autarcie sociétale développée par Thoreau dans son Oeuvre éponyme, en s'inscrivant naturellement et culturellement dans un cadre le plus souvent urbain. Telle pourrait être la philosophie du chef d'oeuvre de Mekas : se retrancher des récits mainstream du cinéma traditionnel et plus encore des majors hollywoodiennes, pour mieux évoluer en vase clos parmi les siens, malgré la ville et ses sempiternelles agitations...
Mekas montre énormément sa capacité à poétiser le réel, avec une science du montage d'attraction proche de certains travaux expérimentaux de la scène new-yorkaise contemporaine ; Stan Brakhage, Tony Conrad ou encore Andy Warhol sont d'ailleurs de certains plans dudit Walden... Film-monstre, immense et salutaire ce home-movie épique et authentique est une Oeuvre unique, essentielle pour qui souhaiterait découvrir le cinéma de Jonas Mekas. Une merveille.