Wall-E est une fusée à trois étages.
D'abord une trentaine de minutes presque muettes, dépeignant une planète épuisée, éteinte, devenue incapable de donner vie. Des montagnes d'immondices cohabitent avec des gratte-ciel silencieux, vestiges d'un ordre ancien, le capitalisme, dont les dernières traces se résument à quelques panneaux publicitaires et enseignes ostentatoires. Le XXIIème siècle tel qu'imaginé par le cinéaste Andrew Stanton s'apparente à une gigantesque décharge à ciel ouvert, grisante, privée d'âme comme d'espoir, seulement animée par l'allant d'une blatte un peu trop curieuse. C'est là que le robot éboueur Wall-E s'emploie à compacter des déchets qu'il aligne méticuleusement, du matin au soir, jusqu'à ce qu'ils s'étendent à perte de vue, dans un panorama jaunâtre déprimant. Sans courir après la fulgurance, mais avec un magistère remarquable, on donne à voir un monde fini, broyé par la logique productiviste, dépossédé de ses ressources les plus naturelles et précieuses.
Vient ensuite la rencontre tant attendue entre le désuet Wall-E et le robot ultra-moderne Eve. Fasciné par son hôte, le petit éboueur increvable – il se répare lui-même avec des pièces recyclées – tente une approche aussi maladroite que périlleuse, avant que le contact ne se noue définitivement. S'amorce alors une romance finement narrée, bien plus engageante que sirupeuse, qui tend à ringardiser immédiatement le genre humain, représenté avec autant d'ironie que d'inquiétude. En quelques plans savamment construits, tout est dit sur l'individu du XXIIème siècle : infantilisé, inerte, obèse, il apparaît constamment rivé à un écran et se laisse transbahuter par des appareils mobiles sans lesquels il semble tragiquement condamné au surplace. L'homme a beau avoir colonisé l'espace, il vit désormais sans rêve ni dessein, d'un consumérisme idiot. Aussi dévitalisé que la planète qu'il a été contraint de quitter.
Dans sa partie finale, Wall-E récite ses classiques (notamment le 2001 de Stanley Kubrick) et délivre un message utilement techno-pessimiste. En un subtil défilé de photographies, le capitaine rond et naïf du vaisseau spatial prend conscience de sa servitude volontaire : l'humanité s'est placée seule sous l'autorité des machines, au point de rompre, sans même le savoir, avec cette forme d'autodétermination qui a longtemps fait son histoire. L'argument écologique, dispensé dès les premières images du film, se voit alors doublé d'un discours critique sur le « progrès » technologique, passant notamment par une interrogation franche des règles édictées par Isaac Asimov. Ultime preuve, s'il en fallait, que Wall-E n'est pas seulement beau et plaisant, mais également malin et lucide, sans jamais consentir à la moindre pesanteur.
Critique à lire dans Fragments de cinéma