Avec son horizon fait de déchets plusieurs fois centenaires, notre chère planète ne vaut plus grand chose dans Wall-E. Irrespirable, laide, agitée de spots publicitaires sans plus aucun récepteur, la belle bleue est pourrie jusqu'aux racines. Petit robot condamné à la même tâche ingrate (ramasser, compresser, ranger), Wall-E passe le balai, seul, dernier témoin d'une Humanité en fuite. Il en est pourtant l'archiviste, gardant pour sa petite personne des objets récupérés au fil des jours. Parmi eux, un film en technicolor dont il ne reste qu'un extrait, passage chanté dont il apprend jusqu'aux mouvements. De temps à autre, un cafard lui tient compagnie. Duo improbable aux actions limitées. Wall-E est isolé, et la caractérisation fonctionne grâce à nos propres reliques : un soutien-gorge, un briquet, une ampoule...
Objets inutiles pour un robot. Mais cette façon qu'il a de collecter les déchets va de pair avec sa manie d'appréhender ce qu'il reste de ses créateurs. L'ancestral jeu vidéo Ping Pong, dont il est fan, devient ici le vecteur d'un questionnement simple mais essentiel : à quoi bon avancer seul ? Tout le long-métrage n'est qu'une longue main tendue vers l'Autre, le partenaire de jeu, la compagne. Tombé amoureux de la sonde Eve, référence biblique évidente qui prône l'air de rien une renaissance de l'humanité par la rencontre de machines devenues plus humaines que leurs concepteurs, Wall-E n'aura de cesse de suivre ses traces. Une main tendue, perpétuellement, vers l'élue de ses circuits. Héros malgré lui, Wall-E s'accomplit dans l'action. Le film qui l'entoure, bijou chorégraphique, se fait alors chanson de geste.
Arrivé sur le vaisseau où nous avons trouvé refuge (baptisé Axiome, pied-de-nez pathétique de ses concepteurs à une situation qu'ils ne peuvent maîtriser), Wall-E y découvre une humanité apatride et pourtant satisfaite de son quotidien en circuit fermé. Incapables de nous déplacer sans siège aéroglisseur, nous voilà tous ronds, gras, et donc égaux dans l'apathie générale. Mais rien ne dévie l'éboueur de son objectif : courir à perdre haleine derrière celle qui lui aura, le temps d'une apparition, donné un nouvel objectif. Quitte à mettre le boxon au sein du nouvel ordre établi, réplique confortable, désespérante, du système qui a enlevé son droit du sol à nos congénères.
On vous dira que l'écologie, c'est à la mode, et que se ruer voir un film pareil revient à se payer le Blu Ray collector d'Avatar, que c'est faire acte d'éco-consumérisme, que les actionnaires de Disney se fichent bien des résonances philosophiques des produits qu'ils financent. Certes, le cinéma est une industrie mais basée sur des prototypes, où toutes les créations diffèrent. Ainsi, placée entre les mains d'artistes conscients, une montagne de fric peut se transformer en mine d'or émotionnelle. La virtuosité hallucinante de Wall-E, corollaire d'une ligne de conduite dont la bonté d'âme file aussi droit que le découpage des meilleures comédies burlesques, ne cesse jamais de surprendre et d'émerveiller.
Aujourd'hui moins inspirée, la maison Pixar aura su, pendant 15 ans, répondre aux fantasmes les plus vifs des cinéphiles. Grâce à eux, nous jouets ont enfin prit vie dans trois comédies d'action majeures, les monstres du placard ont ouvert les portes enfouies de nos cauchemars d'enfants, l'appel du voyage, propre à la jeunesse, aura fait d'un vieillard le digne héritier des aventuriers de Skull Island, et surtout, les super-héros se sont vu anoblis de la plus spectaculaire des manières...
Habité par un dynamisme viscéralement jouissif et une construction scénique qui tire le meilleur parti des libertés offertes par l'animation, Wall-E en profita pour s'imposer comme un summum de divertissement, touché par la grâce d'une mise en scène à faire pleurer la concurrence. Le tout au service d'un propos global qui nécessitait le génie comique de Pixar afin d'éviter la niaiserie : tendre la main vers l'autre, qu'il soit notre semblable ou notre avatar, un proche ou un inconnu, est le premier pas vers un monde meilleur.
Wall-E, c'est le salut des hommes concentré en une petite plante, un pas de deux sous une pluie d'étoiles. M'en voulez pas, mais quand un film assène un message aussi sain avec une telle puissance, un tel rythme et une telle compréhension du medium cinéma, j'ai juste envie de rayer le mot "cynisme" du dictionnaire. Un petit Disney gentiment écolo ? L'un des meilleurs films post-apocalyptiques de la décennie passée, oui.