Qu'on le dise en premier lieu, Wanda est un film extrêmement lent, peu bavard, du genre que d'aucuns trouveront carrément ennuyeux. C'est également le genre de film qui demande une certaine maturation avant de pleinement l'appréhender. Je n'ai pas détesté le visionnage, n'exagérons pas, mais c'est surtout le lendemain, après une bonne nuit de sommeil, que je me suis remémoré le film et que je l'ai d'autant plus apprécié. Il faudra donc, un jour, que je le revois.
Wanda, c'est un film au budget microscopique, fait hors de tout système, malgré le système devrais-je dire. A la croisée du documentaire et de la fiction, avec une image granuleuse, comme si les terrils avaient contaminé non seulement le paysage minier, mais jusqu'à l'image elle-même. Dès le début, la mise en scène est évidente, dans cette manière qu'a Barbara Loden de nous donner les informations en faisant glisser la caméra jusqu'à révéler, l'air de rien, la Wanda du titre.
Suivra une très longue déambulation en plan très large où l'on suit cette Wanda, étincelle blanche parmi le noir des terrils. Et là, d'emblée, on pense à Abbas Kiarostami. Tout de même. Ce que nous saurons plus tard, c'est que Wanda se rend au tribunal, pour son divorce. Et déjà, l'opposition dit tout : entre elle qui avance à pied, seule et silencieuse et son mari, qui d'emblée est montré criant, puis qui se rend au tribunal dans une voiture pleine. On reproche à Wanda de n'être pas déjà là, mais bien sûr il faut encore qu'elle prenne le bus, où elle sera, une fois encore, seule. Au tribunal, pas un regard pour son mari, ni même pour ses enfants. Wanda a, dès le début du film, baissé les bras. Elle sera tout du long celle qui se laisse faire, celle qui a besoin d'un homme pour s'occuper d'elle.
L'enchaînement de scènes avant sa rencontre avec monsieur Dennis montre une conception terrible de la condition de la femme. Les hommes, à l'image du patron de l'usine, y sont condescendants, ou bien simplement concupiscents et lâches, à l'image de cet homme qui lui paye un café dans l'espoir de "faire une touche", ce qui se conclura par des scènes d'une horrible trivialité, bien que rien de cette relation de hasard ne sera montré.
Monsieur Dennis, qu'elle rencontre par hasard, est un cambrioleur à la petite semaine, un raté aveuglé par le mirage du rêve américain (ceux qui ne possèdent rien ne sont rien) : la possession définit l'homme, et donc il va chercher à s'approprier des richesses, alors naturellement, il vole. La relation avec Wanda sera tout sauf romantique, quoiqu'une certaine tendresse bourrue puisse émerger, à de rares moments. Wanda est encore à la traîne d'un homme (Avec moi, on ne pose pas de question, lui dit-il), elle ne sait pas faire autrement.
Le film propose clairement une vision très noire de l'Amérique, celle des loosers, mais sans le romantisme qui réhausse généralement leur existence. Ici tout est cru, tout est brut, brutal même. Il n'y a aucun équivalent dans le cinéma américain. Celui qui s'en rapprocherait peut-être le plus serait Matin Ritt, mais on est très loin déjà du dépouillement de Wanda. On pense évidemment à Abbas Kiarostami, qui commence sa carrière. Pourtant Wanda est, à n'en pas douter, un film furieusement américain. C'est bien les tares de la société américaine que pointe ici Barbara Loden, et puis, il y a le sujet, l'histoire enfin lancée après la rencontre avec monsieur Dennis, d'un couple au volant d'une voiture et cambriolant ce qu'ils peuvent. C'est bien sûr l'histoire de Gun crazy (Le démon des armes), qui inspirera également Bonnie and Clyde. C'est donc bien une histoire typiquement américaine, simplement épurée jusqu'à l'os.
Aujourd'hui, on pense également, en voyant Wanda, au cinéma de Martin Rejtman, ou même à celui de Chloé Zhao, pour rester aux Etats-unis, avant son virage malheureux de Nomadland. Barbara Loden, de son aube des années soixante-dix, peut enfin faire figure de pionnière.