Pine Ridge est une réserve indienne de la tribu Oglala Lakota. Après recherches, il s'agit de l'un des sept clans des premières nations qui forment la tribu des Lakota. Ils se sont séparés des Sioux. La réserve compterait au dernier recensement 19 698 habitants.
Voici quelques éléments glanés dans les internets concernant la population de Pine Ridge :
- diabète, malnutrition, dépression, alcoolisme (85 % des familles sont touchées), toxicomanie (meth),
- mortalité infantile : 300 % supérieure à la moyenne nationale
- espérance de vie : 47 ans pour les hommes, 52 pour les femmes,
- chômage : 90 %,
- ni électricité ni téléphone ni eau courante pour 1/3 des familles dont 97 % vivent au-dessous du seuil de pauvreté.
Le film n'est pas un documentaire mais il se déroule sur les terres souveraines des Oglala Lakota dans le Dakota du Sud et j'ai tenu à aller chercher des informations pour m'assurer de ce que j'avais vu tant ce film désespérant, sans espoir (ben oui désespérant) m'a secouée. Si vous voulez constater par vous-mêmes sans lire de texte, vous trouverez ICI*,1009 photos qui donnent un aperçu de la réalité. Je voulais vérifier de quelle réalité, de quelle époque, de quelle histoire je venais d'être le témoin. Elle se déroule aujourd'hui dans une sorte de quart monde et néanmoins dans le pays le plus riche du monde.
Une semaine sans aller au cinéma, c'est rare. Mais plus rien ne me donnait envie de me déplacer (merci Cannes !). Bien qu'éprouvant, je suis contente d'avoir vu ce film qui risque de passer légèrement inaperçu bien qu'il ait reçu la Caméra d'Or (récompensant un premier film) à Cannes en 2022. C'est étonnant de voir à la réalisation à deux têtes, Riley Keough fille et petite-fille de feux Lisa-Marie et Elvis. Encore une preuve qu'il ne faut pas s'arrêter aux a priori et préjugés.
Nous suivons ici quelques mois du parcours de Bill 23 ans sans travail, déjà père de deux enfants de deux mères différentes et celui de Matho 12 ans, petite graine de délinquant (dealer) aux prises avec un père constamment défoncé et violent qui n'hésitera pas à le mettre dehors. Devenu SDF Matho se réfugie en lui offrant une plume chez une dame qui apparemment recueille (et utilise pour son commerce douteux) les chiens perdus sans collier. Elle lui assure le gîte et le couvert sous certaines conditions, ne jamais mentir, aller à l'école. Allez savoir pourquoi cette réplique : "Tu ne ramènes pas tes ennuis dans mon tipi" m'a bouleversée. Le fait que cette femme parle de sa maison comme d'un tipi m'a balancé au visage toute la tragédie des amérindiens, les natifs du continent américain. L'abandon dont ce peuple fait l'objet me fait penser que les gouvernements successifs comptent simplement sur une extinction naturelle.
Bill et Matho ne cherchent pas à maintenir une quelconque culture ancestrale, ils ont même oublié la langue de leurs ancêtres, l'urgent pour eux est de survivre. Bill l'aîné peut compter sur un certain aplomb, une véritable volonté de s'en sortir voire de s'occuper le plus maladroitement possible et en les mettant parfois en danger, de ses enfants, trouver un travail. Mais sa naïveté et son manque de savoir s'y prendre, associés à son alcoolisme, ne cessent de le mettre dans des situations délicates. Et il sera bien "aidé" dans ses difficultés par sa rencontre avec un couple de "blancs" racistes et exploiteurs. Quant à Matho, il a aussi plus d'un tour dans son sac mais son jeune âge, le comportement et le destin de son père lui rendent la vie encore plus impossible. C'est plutôt vers la drogue puisqu'elle est si facilement à sa disposition qu'il se tourne progressivement.
Bill et Matho ne se connaissent pas et j'ai trouvé leur rencontre bouleversante. Les deux jeunes acteurs inconnus et dont c'est le premier passage devant une caméra sont d'une intensité incroyable. On les aime, on a envie de les aider. On a du mal à comprendre qu'ils soient ainsi abandonnés des adultes qui passent le plus clair de leur temps devant la télé dans des logements insalubres. Quelques filles qui semblent ne plus rien attendre des garçons ont l'envie de s'en sortir, les plus jeunes d'étudier, mais comment serait-ce possible dans cet environnement ? Tous les acteurs sont des sioux lakota.
La caméra expose la misère et observe avec beaucoup d'empathie. Elle se permet quelques envolées apaisantes voire oniriques notamment par la présence d'animaux dont un imposant bison en hommage ou en rappel au passé. A un moment, un chant venu de siècles passés se fait entendre par la bouche d'un vieil homme. C'est magnifique.
Contrairement à ce que j'ai lu, je n'ai pas vu l'histoire de deux marginaux mais celle de deux citoyens américains complètement exclus du fameux rêve et dont on cherche à se débarrasser en les ignorant (voire en les persécutant, il semblerait que les indiens fassent l'objet de persécutions).
Je n'ai trouvé la fin ni apaisante, ni rassurante, ni optimiste.
* https://www.gettyimages.fr/photos/pine-ridge