Ce matin, chien crevé sur mon écran.
Au moment où les geeks du monde entier étaient encore nombreux à avoir des ampoules aux mains après s'être astiqué la nouille devant le Batman über troublé...
le 21 oct. 2010
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Nous sommes plus que jamais dans le bain de la fiction et du fantasme avec des univers foisonnants de super-héros. L’approche de la figure du héros au cinéma se scinde majoritairement entre sa signification pour l’individu, son rôle de gardien de certaines valeurs, sa place comme inspiration dans la vie. Mais dans ce vivier des nouveaux Hercules une autre vision persiste malgré tout en suivant une forme de décadence « anti-héroïque ». Cet angle précis sur héroïsme apparaît comme critique, c’est-à-dire qu’il n’est pas élogieux envers le héros afin d’en faire le reflet d’une société souvent malade et à l’agonie.
Dans Watchmen, la figure stéréotypée du héros venue de la culture américaine comme Superman n’existe tout simplement pas. Ses caractéristiques sont à définir autrement qu’à travers de nobles motivations en mettant en avant un héroïsme fragile qui est la victime d’un mode conflictuel. Notamment dans un genre si dirigé vers des valeurs positives comme l’espoir ou le courage, traduire l’humanité dans sa nature la plus primitive chez le héros rend le traitement de l’héroïsme tout-à-fait singulier. Ce contre-héroïsme, on peut indéniablement le développer de la meilleure des façons avec le personnage de Rorschach. Quand l’esprit sauveur est poussé vers des états limites. Où il n’est plus question de protéger, mais de détruire. Lorsque l’ennemi à abattre devient la priorité du héros. Rorschach incarne merveilleusement bien ce contre-modèle qui met un terme à la construction du héros bienveillant qui demeure encore immaculé même s’il agit au milieu d’une insécurité constante qui fait germer les pires crimes. Ce personnage réaffirme le jeu des identités doubles, non celui de la complexe coexistence entre l’identité du héros et son identité de citoyen, mais l’intrinsèque fragilité de la personnalité du super-héros qui était une chose puis en devient une autre affaiblit par la cruauté de son monde.
DC Comics a toujours mis en avant une telle noirceur avec un catalogue nuancé, loin de la bande de héros rêvée dont on souhaiterait l’existence réelle. Aucune figure patriotique ici, pas de belles armures dorées, ni de beaux héros façonnés comme des stars. Rorschach est un tueur et un sadique, le Comédien est un criminel de guerre et un violeur, le Dr Manhattan fait exploser ses opposants comme du popcorn. On se souviendra que dans la logique hollywoodienne, le méchant est souvent « la face cachée » du héros ou une incarnation des peurs et des conflits. Or, Zack Snyder fait de ses Super des éléments homogènes d’un environnement dangereux et violent. Le Comédien se sent parfaitement le droit de céder à ses pulsions en période de guerre car la guerre elle-même est déjà un océan de souffrance. Rorschach n’est qu’un boucher de plus dans une ville où le sang dégouline déjà de tous les trottoirs. Et impossible d’en vouloir au Dr Manhattan de faire ce que fait l’offensive nucléaire.
Ainsi sur la route de l’héroïsme, il y a du sang, des entrailles, des cadavres. Et Watchmen construit un lien intimiste entre héroïsme et violence légitime. Pensant que comme dans un jardin il faut arracher avec force les mauvaises herbes pour réacquérir l’harmonie, le mal devient une solution et non plus un problème car encadré par un code moral certes corrompu mais toujours orienté vers l’intérêt commun.
De ce large point de départ sur les individus, Zack Snyder façonne son univers dans une atmosphère à l’image de ses problématiques. C’est un cinéaste très à l’aise, car dans son élément, avec la présentation d’un monde à l’approche de l’apocalypse malgré une touche de passion contemporaine : l’obscurité s’impose face à la lumière, les couleurs sont toutes froides, et la ville semble presque totalement bloquée en mode nuit. C’est une malfaisance très contemplative, surtout lorsque l’on voit Rorschach flâner dans les rues en nous dictant ses pensées noires au passage de la décadence de son milieu. Sans doute que jamais l’Amérique, dans un film de super-héros, n’a paru aussi cynique. C’est un superbe décorum crépusculaire mixé entre Blade Runner, Se7en, toutes ces choses qui rappellent The Dark Knight, voire même un brin de Dr Folamour décadent.
Et c’est bien cette orientation sur les temps sombres qui fait tout le charme de cette uchronie. Avec ses individus psychorigides et son environnement austère, elle parvient à porter fièrement ses thématiques : la question identitaire, les frontières, la réécriture historique, la politique, la philosophie, les cultures, les religions, et une idée singulière du monde comme étant intégralement une vaste fumisterie à ne pas prendre au sérieux. Légitimant ainsi une nouvelle fois la place du mal dans les convictions et les actions, car si tout est une farce, qu’est-ce qu’il y a de mal en fin de compte ?
Bien sûr, l’intelligence du film est son matériau le plus précieux en nous plongeant ainsi dans les tréfonds de l'âme humaine pour nous interroger sur le sens de la violence et son utilité. Alors que quelques héros arborent encore naïvement la maintenance de valeurs bienveillantes, que quelques-uns ne croient même plus en ce projet de paix et acceptent l’inéluctable défaite, pour d’autres l’instabilité se révèle paradoxalement une solution acceptable. L’œuvre de Zack Snyder place ses propos déjà extrêmes à un stade supérieur puisqu’elle prouve surtout que dans une lutte entre l’ordre et le chaos, c’est le chaos qui permet l’ordre.
Par une habile analyse de la psychologie humaine et des foules, un des Watchmen instigue l’idée rude mais juste que la sauvegarde de l’humanité ne peut se faire qu’avec la présence d’un ennemi commun qui lui-même va permettre une unification longtemps recherchée entre tous les peuples. Que finalement l’humanité, même si elle se prétend civilisée, demeure néanmoins si primitive dans sa nature qu’il faut faire pousser la paix sur un mensonge. Ici la complexité noire et terrible du film se loge dans une vision conséquentialiste des choses : le bien du plus grand nombre peut exiger le sacrifice de la minorité.
Snyder signe davantage qu’un simple blockbuster. Watchmen est l’équivalant d’une Bible. Une adaptation cinématographique si burnée qu’elle constitue encore pour beaucoup un des meilleurs films de super-héros, si ce n’est LE meilleur. Une œuvre culte en puissance, à la fois intelligente, flamboyante, et étourdissante.
Et toutes les putes et les politiciens lèveront la tête et crieront : « sauvez-nous ».
Et dans un murmure je dirai « non ».
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Créée
le 20 févr. 2022
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