Stagiaire sur des tournages de Terrence Malick au début des années 2010, Trey Edward Shults abandonnera ses études pour se lancer dans le cinéma en autodidacte. Après deux films à son actif (dont "It comes at night" en 2017) il livre avec "Waves" un drame américain sensoriel, dense et n'hésitant pas à prendre des contre-courants narratifs.
Tyler (Kelvin Harrison Jr), lycéen afro-américain souhaitant faire de la lutte son sport à titre professionnel, est fils d'un père assez intransigeant (Sterling K. Brown) avec la poursuite de cet objectif. Entre blessure à l'épaule irréversible et tension avec sa petite amie (Alexa Demie) autour de la question de l'avortement, une spirale infernale va hisser la première partie du film jusqu'à la crête d'une première vague émotionnelle. Tout ce premier pan est l'occasion d'illustrer par petites touches les racines toujours épaisses du racisme aux Etats-Unis y compris sa place dans l'éducation de Tyler, l'opposition à l'avortement et le mal-être de la jeunesse. Déjà difficile à regarder le film se pare d'un rythme de départ conférant presque un sentiment de film d'horreur. Le bleu et le rouge reviennent souvent, évoquant la couleur des phares de la police ainsi qu'en filigrane la crainte de voir se jouer une arrestation malheureuse pour Tyler. Au moment terrible de la bascule vers la deuxième partie, qu'il n'est pas indispensable de révèler, les phares d'une voiture de police apparaissent d'abord sous la forme d'un monstre abstrait aux yeux rouges transperçants (grâce aux lensflares de l'objectif) qui se rend sur les lieux d'une situation irrémédiable.
Changement complet de point du vue, visualisé par une sorte d'accouchement sensoriel lorgnant vers du Gaspar Noé, le film suivra dès lors la petite soeur de Tyler, Emily (Taylor Russell). La transition est l'occasion d'un changement de ratio de la caméra, technique utilisée pour faire monter la tension dans la première partie et qui permettra de respirer dans la deuxième. La descente aux enfers s'arrête et débarque Luke (Lucas Hedge) qui offre une sucette aux myrtilles à Emily et l'invite à sortir. Au film de raconter dès lors une histoire parallèle sur fond de pardon et de deuil qui permettra à Emily de monter en grâce après sa mise de côté forcée dans un premier temps.
Au long du film la caméra glisse comme une bouée sur le remous des vagues, change le ratio de son image et tourne sur elle-même à de nombreuses reprises (comme une caméra à 360°) sans que cela ne paraisse comme un futile exercice de style visuel. Elle adopte ainsi le rythme de la jeunesse fébrile et fétarde, se fixe quand il s'agit de digérer l'émotion et pose le spectateur au plus près des personnages. On perçoit une veine filiatrice entre Shults et Malick qui ne prendra cependant pas pleinement en compte la nature et sa contemplation dans l'histoire (sauf quelques plans sur des lamantins). C'est pour le mieux car il ne s'agit pas de reproduire le style de Malick même si la notion de "grâce" cher à celui-ci se révèle en lame de fond toujours plus submergeante dans "Waves". Légèrement descriptif sur les (magnifiques) musiques utilisées car les citant parfois directement en raison de leur présence diégétique dans le film, on y retrouvera notamment du Frank Ocean, Kanye West, Dinah Washington, Kendrick Lamar et du Radiohead. Le reste de la bande-son profite des talents d'Atticus Ross et Trent Reznor qu'on connait pour celles de certains films de David Fincher.
Waves démontre à nouveau l'intérêt du cinéma indépendant américain dans l'appréhension d'un pays qui a du mal à se saisir lui-même. Il marque aussi la montée en puissance d'un cinéaste cherchant à faire un peu plus que quelques insignifiantes vaguelettes. Pas mal pour un débarqué !