Ces trois mots forment le point d’ancrage du film de Jean-Baptiste Thoret, projet qui m’excitait beaucoup tant son passionnant travail de critique érudit n’est plus à prouver. « We blew it » lâchait Peter Fonda, au coin du feu, dans Easy Rider. Thoret a construit là-dessus. Trois mots prophétiques tant ils annoncent tragiquement la fin du rêve, aussi bien celui de ces deux motards qui sillonnaient les routes sur leurs choppers que l’Histoire de l’Amérique, son cinéma et sa politique même si comme le rappelle Thoret : « Le cinéma est toujours politique ».
Comment sommes-nous passés d’Easy Rider à Donald Trump ? De l’assassinat de JFK en 63 à l’élection de Ronald Reagan en 81 ? C’est la note d’intention toute simple de ce documentaire qui ressemble à un croisement improbable entre Michael Moore et Route/One USA de Robert Kramer, formellement parlant, s’entend. Questions auxquelles Thoret tente moins de répondre que d’étoffer de nouvelles questions, apporter de la nuance, briser ses propres préjugés. « Pour connaître l’Amérique, il faut la traverser » pense t-il.
Il interroge alors de nombreux pionniers du Nouvel Hollywood comme Bob Rafelson, Jerry Schatzberg, Peter Bogdanovich mais aussi les héritiers instantanés comme Peter Hyams, Tobe Hooper, Paul Schrader ainsi que Michael Mann – Il a pas pu s’en empêcher le bougre et il s’en défend ouvertement : Selon lui, le réalisateur de Miami Vice est le seul cinéaste américain vivant à perpétrer une certaine norme du Nouvel Hollywood quand ses confrères refond les années 50 voire les années 80.
Aux côtés de ces célébrités, dont l’œuvre est parfois tombée dans l’oubli comme celle de Stéphanie Rothman, Thoret va faire la rencontre de gens ordinaires, « natifs » de la culture sex, drogue et rockn’roll, cette même génération qui s’apprête à voter Trump aujourd’hui – Puisque le tournage de We Blew It s’effectue en plein pendant la campagne présidentielle.
C’est un film passionnant, riche, autant qu’il est foutraque et circulaire. Pas toujours convaincu par son découpage et son espace de parole restreint et carré mais ça n’en reste pas moins un objet indispensable. D’autant que si la musique fait partie (trop) intégrante du film, on a le sentiment qu’elle est utilisée pour ne pas inonder le film d’images des films du Nouvel Hollywood. Cette musique archi présente c’est tout simplement une somme de morceaux repris des films de ce courant. Une manière de les citer sans les citer outrageusement.
Si après un générique mémorable autant qu’il est inconfortable puisque totalement blindé d’images qui se chevauchent, se déforment, de bruits qui s’entrechoquent, le film d’emblée crache la scène d’Easy Rider comme pour dire « C’est dit, on en parle plus » et c’est un parti pris vraiment noble je pense – J’ai craint durant cet instant que le film tombe dans l’objet nostalgique.
Film passionnant donc, mais peut-être pas autant que le débat qui suivit puisque Jean-Baptiste Thoret était là et comme d’habitude (J’ai le souvenir de deux soirées incroyables, instructives et passionnées, autour des projections de Sorcerer et The Swimmer – deux de mes films préférés – il y a quelques années au centre des Arts d’Enghien) c’était absolument divin de l’écouter. On l’écouterait déblatérer sur le cinéma toute la nuit sans problème, lui.
Et d’ailleurs son intervention a dû durer le temps du film, sans exagérer. Il était très en forme, très dur parfois, et très franc surtout, quand on lui demandait d’expliquer pourquoi il avait choisi d’interviewer untel plutôt qu’un autre – Si Spielberg et Scorsese c’était pour lui no way, pour tout un tas de raisons que t’imagines très bien je pense, il ne se voyait pas non plus faire venir Friedkin tant il était persuadé qu’il lui rabâcherait les anecdotes de ses mémoires puisque c’est ce qu’il fait partout depuis cinq ans, en revanche il aurait adoré avoir, outre ceux qui ne sont plus là, Warren Beatty et Robert Redford. J’ai quelques réserves (à l’image de ce dernier plan appuyé) mais beau film dans l’ensemble.