We Need To Talk About Kevin : Enfanter le diable
Le cinéma relate souvent les relations houleuses entre un père et son fils, comme dans Tu seras mon fils de Gilles Legrand et The Tree of Life de Terrence Malik ou des relations plus tendres comme dans Papa de Maurice Barthélémy ou dans Mon père est femme de ménage de Saphia Azzeddine. Certes, Il existe bien des films qui mettent en exergue les relations mère-fils mais souvent sous angle soit positif ou soit comme éléments servant à évoquer la possession d'une mère, comme dans mon Fils à moi de Martial Fougeron, ou la frontière ambiguë qu'il peut y avoir parfois entre amour maternel et désir sexuel telle que dans Ma mère de Christophe d'honoré. Non ça aurait été contraire à l'étique car comme l'attestent certains psychologues ou sociologues : "une mère se doit d'aimer son enfant et vice versa, c'est une obligation sociale, une sorte de contrat entre deux êtres du même sang, qui plus est, entre une mère son un fils". Cependant, cette relation symbiotique souvent idyllique, reste un idéal, c'est ce qui devrait être, et non ce qui est réellement. En d'autres termes, elle est illusoire. Parfois, cette affection se mue en d'autres types de relations moins fusionnelles, qui peuvent aller du simple respect envers notre génitrice à une haine féroce comme dans We Need To Talk About Kevin.
De l'amour à la haine
Kevin ne se contente pas de ne pas aimer sa mère, de ne pas la considérer comme une idole, il va jusqu'à lui vouer une haine injustifiée. Dans chacun de ses actes malfaisants, Kevin semble s'obstiner à contredire la célèbre formule de Socrate selon laquelle "nul n'est méchant volontairement". Dans le film, la réalisatrice joue sur la redondance des scènes dans lesquelles Kevin, dès sa naissance, prend un malin plaisir à faire souffrir sa mère. Comme par exemple, lorsque bébé, il ne cesse de pleurer, ou à 3 ans lorsqu'il fait semblant de ne pas savoir lancer le ballon, de ne pas savoir aller sciemment aux toilettes, ou encore, plus grand, lorsqu'il continu à se masturber après que sa mère ait ouvert inopinément la porte de la salle de bain. La mise en scène est, certes, assez redondante, mais elle n'en reste pas moins efficace pour rendre insupportable Kevin aux yeux du spectateur, et ainsi créer de l'empathie pour Eva, la mère, loin d'être exemplaire, mais qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour l'aimer tout en essayant de lui inculquer les bonnes manières.
La déchéance d'une mère
Certains points communs, sur le fond, existent entre Antichrist de Lars Von Trier et We Need To Talk About Kevin. Entre autre sur le mythe de l'instinct maternel qui s'estompe. Dans le premier cas, la mère, campée par Charlotte Gainsbourg, n'a pas – ou ne veut pas - avoir conscience du danger auquel son bébé est confronté lorsqu'il s'approche de la fenêtre, à moins qu'elle préfère simplement copuler avec son mari plutôt que de lui prêter attention. Dans le second, la mère semble plus volontaire, fait plus d'effort, mais il n'empêche qu'elle n'arrive pas à gérer les relents de haine de son fils. Dans les deux cas, les mères finissent déchues, en pleine dépression et en marge de la société, psychologiquement et sociologiquement instables. En sommes, ces deux films sont une illustration de l'antithèse de la bonne mère qui s'épanouie dans la relation avec son fils : l'enfant censé être la consécration de l'évolution de la vie de couple vers la vie de famille heureuse et la consécration sociale pour devenir inconsciemment - dans Antichrist - ou consciemment - dans We Need to Talk About Kevin- le centre d'un malaise qui détruit l'univers familial et social de ses proches.
La transparence d'un père
Le père a aussi son importance dans We Need To Talk About Kevin, la tension entre Eva et Kevin est, ici, mise en contraste avec des scènes qui nous montrent une relation de bonne entente entre lui et Kevin. La plus marquante est celle dans laquelle Kevin joue à l'arc avec son père, pour, dans le plan suivant, viser sa mère avec une flèche en plastique. Mais encore une fois, cette fusion paternelle reste assez ambiguë. Admire-t-il réellement son père ? Ou est-ce une façon pour lui de rendre sa mère encore plus jalouse ? De lui faire croire que les problèmes viennent d'elle et non pas de lui ? Dès le plus jeune âge Kevin semble être sujet à des « crises d'adolescence», en éternelle contradiction. Contrairement à son père qu'il semble respecter, Kevin considère sa mère comme une étrangère, comme si le lien mythique mère-enfant n'existait pas, comme si le mal-être social d'aujourd'hui, l'incompréhension entre les générations, se reflétait à l'excès dans cette absence de relation entre Kevin et sa mère.
Obligation sociale d'une mère ou réel amour maternel?
Paradoxalement, si le film tente de nous montrer qu'il est possible d'enfanter un être dépourvu de sentiments envers sa génitrice, il est aussi la preuve que l'affection d'une mère envers un fils reste malgré tout plus forte que tout. En effet, malgré les crimes commis par son fils et la haine qu'il lui voue, cette dernière semble l'aimer à sa manière. Le réalisatrice nous le prouve en ponctuant son film de scènes courtes et ponctuelles, mais intenses, dans lesquelles Eva visite son fils en prison pour tenter de comprendre ses actes. À moins qu'en tant que mère elle se sente obligée de le faire pour remplir ce contrat social qui lie une mère à son fils.
Antoine Bernier