"Wendy" est indiscutablement ma séance coup de tête de l'année, programmée au débotté après avoir fortuitement avisé l'affiche d'avant-première derrière un arrêt de bus. Une nouvelle adaptation de Peter Pan sur grand écran ? Il ne m'en faut pas plus pour déclarer à ma chère et tendre, une fois rentré à la maison, "Demain, on va au cinéma !". Quelques clics plus tard, je découvre qu'il s'agit du nouveau projet de Benh Zeitlin. J'avais à l'époque beaucoup apprécié "Beasts of the Southern Wild", expérience qu'il me semble pertinent de mentionner pour mieux comprendre mon point de vue sur "Wendy". J'étais sorti de BotSW très agréablement surpris, avec toutefois une minuscule écharde de regret concernant une notion en particulier. J'avais la nette impression que le film, outre ses nombreuses et évidentes qualités, demeurait perpétuellement à la lisière du conte fantastique, l'effleurant avec tendresse sans jamais oser faire un pas de peur de la franchir, en dépit de ce que la bande-annonce avait pu suggérer. D'où ma réflexion d'alors, stockée soigneusement dans un coin de ma tête : ce monsieur Zeitlin a visiblement la matière et l'envie d'un très beau conte fantastique et j'aimerais vraiment être au premier rang le jour où il sera visible en salles. Mon enthousiasme de constater que ce jour était enfin arrivé ne fut surpassé que par ma joie durant la séance, elle-même égalée par ma déception à la lecture des critiques qui fleurirent en ligne lors des semaines suivantes, tant j'avais le sentiment que leurs auteurs n'avaient pas vu le même film que moi.
Je ferai peu de cas des objections qui déplorent un manque de candeur dans cette adaptation. C'est une notion éminemment subjective et je trouve pour ma part que le film regorge de féérie, précisément parce qu'il la déniche dans les méandres d'un quotidien tout suintant de trivialité routinière. Je pourrais également expliquer à quel point je suis touché par le traitement du personnage de Crochet, que je vous laisserai le soin de découvrir par vous-même et qui se révèle au final très proche des instructions données par Barrie pour sa pièce "Peter & Wendy" en 1904. Certes, la vision du personnage de Pan proposée par le film de Zeitlin peut désarçonner par instants (je pense notamment à un changement d'avis décisif et un peu trop brusque pour ne pas relever de la facilité d'écriture), mais l'histoire est bel et bien celle de Wendy depuis le roman de 1911 et ne relève donc pas d'une trahison de l'œuvre originale comme on a parfois pu l'affirmer. Peter ne change pas, sa nature même est de demeurer éternellement enfant et étranger à toutes les conséquences du monde (c'est notamment pour cette raison que le "Hook" de Spielberg m'a toujours semblé une adaptation mal pensée). Wendy, en revanche, se trouve à la première grande croisée des chemins de son existence. L'histoire est celle des choix qu'elle doit opérer pour amorcer son lent voyage vers l'âge adulte.
La réalisation, qui furète au plus près des visages, de la jungle des enfants et de l'île comme mue par Terrence Malick après sa première cuite de lycée, peut elle aussi agacer. Toujours est-il que la beauté des espaces, de la lumière et des performances justifie largement cette frénésie.
Passez votre chemin si vous espérez revivre la nostalgie douillette du Disney, il est fort probable que le film vous laissera de glace. Pour ceux qui souhaitent une adaptation plus en phase avec le roman et son époque, je vous encourage à découvrir (ou à revisiter) le "Peter Pan" de P.J. Hogan, jolie douceur sous-estimée et disponible sur Netflix au moment où j'écris ces lignes (avec en prime l'incarnation de Crochet la plus proche du texte original, sous les traits de Jason Isaacs). J'ai pour ma part beaucoup de joie à savoir qu'il existe à ce jour deux belles adaptations de l'œuvre de Barrie, l'une excessivement fidèle au roman malgré son apparente naïveté ; l'autre stimulante, pleine de liberté et de choix radicaux, qui nous est délivrée avec "Wendy".