C'est Jerome Robbins qui eut l'idée de transposer l'histoire de Romeo & Juliette de Vérone à New York, l'antagonisme des 2 familles nobles Montaigu et Capulet devenant alors la rivalité de 2 gangs de jeunes, les Jets et les Sharks. Metteur en scène et chorégraphe du spectacle monté à Broadway, Robbins partage avec Robert Wise la réalisation, assurant surtout le prologue muet sans dialogues, les numéros musicaux et dansés. La production disposa de gros moyens et d'une troupe admirable qui livre un numéro mémorable dont on a les morceaux longtemps en tête, tels "Tonight", "Maria", "America" ou "I feel pretty"... Le film remporta 10 Oscars et marqua durablement les esprits.
A quoi tient l'effet West Side Story ? à quoi tient le succès de ce film ? A ses thèmes musicaux ? à sa renommée de comédie musicale riche en couleurs, en mouvement et en action ? rien de tout ceci n'a vieilli, c'est intemporel. Même si les costumes sont un peu démodés, même si certaines répliques datent un peu aujourd'hui, même si quelques longueurs étirent un peu le scénario, et même si on détecte un soupçon de romance sentimentale un peu mièvre, West Side Story garde intacts sa force et son sujet. En effet, l'histoire de ces 2 bandes rivales se disputant les trottoirs et les terrains de jeux du quartier ouest de Manhattan, a des résonances bien contemporaines, et le racisme sous-jacent entre Américains et Portoricains est toujours d'actualité.
Le thème de l'adolescence livrée à elle-même et s'adonnant à la violence pour exister, n'a pas vieilli. Mais plus encore qu'un réalisme toujours actuel, ce qui peut expliquer l'éternel succès de ce film après tant d'années, c'est sa dimension mythique, car il rompait avec le style des "musicals" très hollywoodiens façonnés par la MGM et dont l'apogée se situe dans les années 40 et au début des années 50. Le film n'utilise pas les mêmes codes, le ton n'est pas classique comme dans un Fred Astaire, il ne s'agit plus d'un scénario-prétexte drôle ou sirupeux, mais d'un drame contemporain qui transpose une mésalliance d'origine shakespearienne dans un univers pauvre fait de poutrelles métalliques, de béton, de grillages et de terrains de basket. Au coeur du scénario, le mythe éternel de Romeo & Juliette est bien là (un peu remanié à la fin), remplacés par Maria et Tony, mais sublimé par le rythme, la danse, les bagarres chorégraphiées et la musique de Leonard Bernstein qui se situe habilement au carrefour du classique, du jazz et de la variété.
Seul le casting peut générer une sorte de dichotomie dans les scènes parlées et chantées, les exigences de la production imposant des acteurs comme Natalie Wood et Richard Beymer qui sont doublés vocalement, tandis que George Chakiris, Russ Tamblyn et Rita Moreno sont des danseurs et des chanteurs de métier en plus d'être acteurs.
Voici donc un film qui reste une grande réussite, et qui marqua un tournant dans l'histoire du film musical hollywoodien, même si je n'en suis pas totalement fan (il y a une baisse de rythme après la bagarre au couteau), mais je sais en reconnaître les qualités artistiques.