Alors que la nouvelle version de Steven Spielberg vient de sortir au cinéma, il convenait de s’intéresser dans un premier temps au premier West Side Story sorti au cinéma voilà 60 ans, adaptant sur grand écran la célèbre comédie musicale à succès de Broadway.
West Side Story, c’est l’histoire de ces quartiers de New York des années 50 où des gangs de jeunes font la loi dans les rues, dans un contexte de fortes tensions sociales nourries par les dissensions entre communautés, notamment à l’égard de la communauté portoricaine. Dès les premiers instants, le film nous immerge dans son atmosphère et commence à dévoiler son programme, avec cette caméra aérienne qui dévoile toute l’étendue d’une ville en mouvement pour mieux remettre en perspective l’environnement des protagonistes du film, avant de nous introduire aux Jets, qui sillonnent les quartiers en claquant des doigts, dictant le rythme en évoluant dans les rues, définissant l’espace et le ton du film, notamment lorsqu’ils croisent les Sharks, bande rivale composée de jeunes portoricains.
Baignant dans une lumière estivale et une atmosphère bigarrée avec toutes ces tenues colorées, West Side Story se développe dans une chaleur qui catalyse les tensions et les passions. Le film va notamment suivre la rivalité entre les Jets et les Sharks, et la relation naissante entre Tony, ami du chef des Jets, et Maria, la sœur du chef des Sharks, relation qui s’annonce des plus compliquées étant donnée l’impossible alliance entre les deux clans. West Side Story vient illustrer la méfiance envers l’autre, l’incapacité des communautés à vivre ensemble dans une Amérique fondée sur la pluralité, désormais loin de l’idéal qu’elle a prôné. C’est ce qui rend ce film assez étonnant, avec sa forme relativement innocente, héritée de la plus pure tradition de la comédie musicale au cinéma, qui n’est plus spécialement dans l’air du temps, tout en traitant de thématiques modernes, convoquant davantage le Nouvel Hollywood approchant, dans cette vision d’un rêve américain brisé.
En effet, bien que solaire et coloré, West Side Story n’en demeure pas moins un film grave, avec un côté très torturé et désespéré. Car les belles chorégraphies et la naïveté des deux tourtereaux ne suffisent pas à faire oublier le triste constat édifié par ce film : la société est brisée, on ne s’écoute plus entre individus de communautés différentes, ni de générations différentes. Les anciens accusent les jeunes de ne pas savoir faire preuve de tolérance et de cultiver la violence dans ce monde, quand les jeunes accusent les anciens de ne pas leur avoir laissé le choix. Comme en témoigne l’absence quasi-totale d’adultes, West Side Story est un film sur la jeunesse, une jeunesse égarée qui n’est que le reflet d’un abandon généralisé, que d’autres films commençaient déjà à montrer auparavant, comme La fureur de vivre. Plus classique et naïve, l’amourette qui est au cœur de l’histoire, source de grands dangers que l’on pressent rapidement, n’est pas forcément le point d’intérêt principal du film, qui réussit surtout dans sa restitution d’une vision désenchantée de l’époque, la relation entre Tony et Maria devenant alors une sorte de rêve fugace aussitôt éteint par la réalité brutale du monde.
Devenu un véritable modèle de la comédie musicale, West Side Story emporte grâce à ses chorégraphies soignées et à sa scénographie, dévoilant toute une palette de couleurs paraissant souligner la diversité du monde. Il conviendra à chacun d’être sensible ou non au genre de la comédie musicale, toujours est-il que West Side Story se voit comme un beau conte, féérique par moments, tragique dans d’autres, une version réactualisée de Roméo et Juliette qui offre un discours fort sur son époque. Dix Oscars vinrent couronner ce qui est aujourd’hui considéré comme une référence en la matière, et nous sommes bien curieux de voir comment Steven Spielberg vient aujourd’hui aborder ce classique de la comédie musicale.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art