Faut-il vivre dans l'acharnement ou dans la complaisance ? Le film illustre bien les dangers de la première approche (isolement, suicide, ou même, dans un exemple particulier, accident de voiture). Une notion de juste milieu à trouver est évoquée par le biais du protagoniste à partir d'un certain stade, notamment lorsqu'ils se retrouvent dans le bar : « But is there a line? Maybe you go too far. » C'est toutefois l'antagoniste (que je me permets de désigner ainsi) qui a le dernier mot lors de cette conversation, peu après avoir exposé son intransigeance sur la question et son mépris total pour la complaisance en déclarant : « There are no two words in the English language more harmful than 'good job' ». Bien que je doute qu'il ait réellement convaincu son interlocuteur, ce dernier ne peut pas le contredire car il n’a pas encore trouvé la faille dans le raisonnement du professeur.
Cette faille de raisonnement me paraît pourtant évidente. L'antagoniste n'est-il pas en train de se complaire dans son fanatisme de la non-complaisance ? Il remet systématiquement et sévèrement en question les compétences musicales de ses élèves, mais ne semble pas du tout vouloir faire de même quant à ses propres compétences pédagogiques et à sa propre philosophie. Il méprise la naïveté, mais il ne se rend pas compte que son attitude est elle-même naïve.
La volonté de surpassement, pour être complète, doit être globale et non focalisée sur un seul domaine particulier. Elle doit nous amener à remettre en question cette volonté elle-même, plutôt que de nous entraîner dans un rejet systématique de la complaisance ou de tout ce qui s’y rapporte. Le combat permanent, pourquoi pas, mais celui-ci doit en partie se tourner contre nos propres espoirs et choix de vie. Croire qu'il suffit de se concentrer sur un seul domaine (comme la batterie ou un autre instrument) pour s’accomplir et devenir « une grande personne » est le signe d'une paresse d'esprit, et peut nous conduire à de graves erreurs qui nous affaiblissent et nous font passer à côté de choses importantes pour notre construction personnelle.
La psychologie de l'antagoniste me semble intéressante. Peut-on se demander si sa mission — éviter que le monde passe à côté de pépites musicales, « that to me is an absolute tragedy » — n'est pas, au fond, un prétexte à la violence, résultant d'un certain trouble psychiatrique (trouble explosif intermittent ? cyclothymie ?) ?