Arrivant 6 ans après la bataille, je suis conscient de ne pas jeter un pavé dans la mare. Cependant, je tenais à apporter mon humble contribution.
Whiplash, c’est donc avant tout un combat d’égos virils particulièrement sûrs de leur conception de la musique.
On a donc ce professeur pour lequel les futurs génies de la musique ne le seront qu’en vomissant des partitions, ou à la limite en jouant un solo de batterie à 300 bpm qu’aura donc permis un apprentissage à la dure. Le brillant musicien n’est pas brillant par son interprétation, mais par son mimétisme. Peu importe qu’il soit un pianiste moyen à l’audience confidentielle, la conception de Fletcher doit prévaloir dès lors qu’un exemple historique martelé tout au long du film la justifie, et au passage, motive le harcèlement moral que cette vision induit. L’homophobie, le sexisme, l’antisémitisme, les attaques personnelles et même la violence physique sont donc une partie essentielle du processus puisqu’un seul musicien y doit sa renommée. Peu importe les conséquences macabres de cette entreprise de destruction psychologique si la perle rare peut en naître.
Évidemment, cette conception resterait ridicule aux yeux du spectateur, et ce à juste titre, s’il n’existait pas d’élèves pour l’ingurgiter. Andrew, aspirant bourru, maladroit et en retrait, l’intègre très vite, dès qu’il comprend que le succès nécessite l’intransigeance. Il relaie donc l’étrange vision de la musique de son bourreau et, surtout, se met en opposition avec le monde extérieur : trop médiocres, incarnant un futur qu’il tient en horreur, son amour naissant et sa famille sont autant d’embûches sur la route du succès. Pourtant, Chazelle semble tempérer son parti-pris répugnant lorsque Terence et Andrew quittent sous la contrainte ce milieu délétère. Ce n’est que pour repartir de plus belle sur la conception binaire régentant le film. Aux sommets de la musique, s’opposent les tréfonds des fast-food et boutiques de popcorn ; à la "bonne" conception de Terence, c’est-à-dire l’élévation par la peur et le harcèlement moral, s’oppose le lâche encouragement dans la médiocrité. Si d’aventure le réalisateur avait l’intention de tourner Terence en dérision, je ne vois ici que complaisance dans le combat d’un prophète prêchant à son convaincu la lâcheté coupable des musiciens de son temps. La fin, d’ailleurs, vient purement et simplement appuyer la vision du monde de Terence. Le génie musical, c’est donc l’apprentissage acharné et irréfléchi dans une résilience virile parce que sanglante. Le génie musical, c’est le concours de bites « technique », parce que les vraies élites se forment ainsi.
Au-delà des parti-pris, je trouve le déroulement du film tristement banal en tant que tel. On a ici un scénario extrêmement prévisible d’un film mettant en scène des milieux élitistes. Triomphant des intimidations de Terence, Andrew avance lentement vers le triomphe en passant de « puceau » à « titulaire ». Pourtant, événement ô combien surprenant dans l’environnement hautement compétitif qu’est la « meilleure » école de musique des Etats-Unis (et donc du monde, bien entendu), la stabilité n’est jamais acquise et le surpassement permanent est la condition sine qua non des louanges. Comme dit précédemment, cela ne peut se faire qu’au prix du sacrifice de ce qui nous détourne de ce but, et au prix de l’adoption d’une logique de bourreau égocentrique, apparemment seule envisageable dans un tel milieu. Puis, dans un brouhaha d’étonnement, la descente aux enfers, initiée par un manque coupable de rigueur duquel découlent des événements funestes, entre accident de voiture et craquage mental face au tyran. Enfin, après les doutes et le retour à l’humilité, on a la réconciliation avec le maître déchu pour un final heureux prenant racine dans un parfait syndrome de Stockholm. Entre deux modèles antagonistes, son père et son professeur, Andrew aura choisi la voie des grands.