Après cette fertile lignée, on pourra dire que le cinéma de genre français est bien vivant.
Gagarine. Un magnifique long-métrage en forme d’hommage à la cité portant le nom du pionnier soviétique de l’espace. Cette homonymie est le point de départ scénaristique du film, qui s’ouvre sur des archives de l’INA : des interviews de jeunes habitants de la cité alors fraîchement construite. On va ensuite, donc, assister à la sublime quête de l’espace de Youri -comme le cosmonaute-, jeune homme esseulé, héroïque, qui va lutter pour sa cité et, une fois le combat perdu, profiter du désert urbain qu’elle est devenue pour réaliser sur Terre ses rêves de transcendance, sans transiger une seule fois sur ceux-ci.
Si le film est aussi beau, ce n’est pas uniquement parce qu’il se détache des clichés habituels des films sur les « cités », qui proposent une romantisation parfois malsaine à mes yeux. Il est ici pleinement justifié, et le dépassement acharné d’une condition de misère prend des proportions lyriques, à l’instar de cette danse salutaire de l’ex-« vendeur» de l’immeuble, voire tragiques. Par ailleurs, l’histoire entre Youri et Diana est absolument sublime, empreinte d’une émouvante sincérité et de rêves d’enfants désœuvrés. Elle forme le cadre des meilleures scènes du film, tel ce dialogue en morse par lumières interposées.
La caméra, avec laquelle on abuse de plans-séquence, filme une action détachée de la Terre et des limites qu’elle impose, jusqu’au feu d’artifice final. La gravité est, ce faisant, bien souvent ignorée, sans pour autant désorienter le spectateur. La photo, par ailleurs, mise beaucoup sur des jeux de lumière, sur les plans d’une nuit abyssale où l’humanité semble avoir disparu, ou à vrai dire jamais existé. La bande-son, enfin, recèle de véritables perles et alterne entre une enivrante musique de science-fiction et des chants de variété plus classiques, tout autant puissants néanmoins, et participant d’un même mouvement vers ce rêve éveillé dans lequel j’ai volontiers été transporté.
En somme, cette œuvre, tout en maîtrise, manie à la perfection un riche symbolisme dont on ne se lasse pas, en fondant son scénario, sa photographie, sa réalisation, ses personnages sur un simple parallélisme sémantique. Néanmoins, l’authentique drame social dont il est question ici ne se dissout jamais dans l’onirisme- qui reste le registre principal du film-, comme en témoigne la bouleversante scène finale. Justesse, virtuosité, passion et dévotion sont les maîtres-mots d’une œuvre appelée à faire date dans le cinéma français.