Autant frapper d'un tempo titanesque la trempe effrontée qui vous transit tant et tant, et avouer tout de go la claque acclamée que mérite ce coup d'éclat et de clameur : Whiplash est inouï, croyez les oui-dire, voyez ce dernier.
Ca commence et ça cogne, à crever la batterie, à battre la cadence, à crever l'écran, à balancer la cymbale, à crever de démence, à bouffer du 4 temps. Comme un roulement de tambour à tomber étonné et tanné du tabouret, un roulis annonçant le numéro tonitruant.
Tout autour, tout est sombre, tout est sourd, tout est court. Un enragé arrange son matraquage cadencé. Dans le noir, vêtu de noir, voici qu'une oreille le guette et apparaît. L'étudiant perd le fil, et le prof perd patience.
Premier duo, reprise à la mesure, sans soupir dans le dialogue; que la batterie qui s'ébat entre deux duettistes duellistes. Grand début de cinéma, et l'on est déjà happé, on est déjà curieux, on est déjà trompés, on tourne déjà la page suivante, suspendu au suspense inattendu.
Si le jazz est donné mort, il en reste pour l'électrocuter, lui donner à l'écoute la décharge pulsée, lui faire cracher sa rage et déranger son aura. Terence Fletcher, prof du film, sommité démoniaque, démon habité, chef horrifiant, est de ceux-là. Si le jazz doit partir, il le fera exploser dans un tourbillon de cuivres et de percu.
C'est pas de la musique, c'est du combat, bats le temps, pas hors-temps, pas le temps de tempérer son humeur, bats ta batterie à bride abattue. C'est pas de la musique, c'est de la course à l'excellence, ici, excelle ou abdique, ça tape au corps, ça tape aux tripes, ça tape au coeur, ça tape à l'âme et secoue l'intérieur. Révolutionne ton intérieur si tu veux briller, ne ralentis jamais, brise ton corps, sue sang et eau, saigne s'il le faut, répands le sang sur le tambour et n'écoute pas tes phalanges meurtries.
Un repère dans ta quête éperdue : la voix du chef, le tempo du chef, le visage parcheminé d'un J.K. Simmons mémorable dans son rôle, le regard glacial du guide égrillard et grandiose, minable, inspiré, inspirant, dégueulasse, débectant. Tu lui casses la gueule ou tu le suis au bout du monde, pas de demi-mesure pour sa partition. Tu éclos et tu t'éclates, ou tu te rates et te rétames. Charlie Parker ne se serait jamais découragé, pense-t-il, alors il essaiera de te faire devenir le prochain Bird ou te découragera !
Whiplash est le récit d'une course au génie, une violente secousse sur les coulisses d'un travail écrasant, une pédagogie aux travers éclatants. Se tuer à la tâche, s'effondrer à frapper ? Seulement le début du chemin, pour Fletcher. Un simple "Good Job" est un jeu oublié. On ne transige pas avec le génie, on vit pour lui. Les limites de sa méthode ? Fletcher s'en fout, Fletcher s'en flatte, Fletcher s'en pourlèche, Fletcher s'en tape comme de sa première touche de piano.
Voilà que son élève perd aussi le sens des limites, voilà qu'il lime son regard et devient pédant petit con aux repas de famille, s'estimant seul illustre illustrant la grandeur, dépassant d'un poum tchac la médiocrité qu'il prête aux autres destins. Coup de génie de creuser les failles effarantes des protagonistes aveuglés, hallucinés du bruit du jazz, ivres des œuvres, œuvrant pour la gloire, ouvrant son heure à la folie pour son art, alors que nous plongeons ça et là au cœur vibrant de l'orchestre (immersion émerveillante dans le tintamarre merveilleux du jazz, même pour les allergiques au genre dont je suis c'est ainsi).
Et ça tape, et ça heurte, et ça cogne encore, et le film déroule l'incessante sessions de saisissants instants, sans temps morts, électrisé, se posant juste par instants pour mieux vriller le tempo suivant. Il nous balance à la louche ses questions sous entendues, n'entendant pas s'étendre hors de son flux tendu, entendu que d'entendre ses temps est ardu. Il faut cavaler à la suite de ses dialogues roulés sur le tambour et ne pas décrocher. C'est la méthode Fletcher, tu suis ou tu cèdes. A la clé, c'est son choix, à la clé c'est sa claque. Son groupe, c'est la zique, le jazz, le son, le ryhtme, la zique, le jazz, le son, le rythme... Les interprètes, eux, ils passent...
Et soudain, dans ce déroulé implacable, survient un des finals les plus jouissifs, jouisseurs, jaillissants, orgiaques, du cinéma. La marche finale, l'instant trouble et terrassant ou tout se tait autour et tout se joue dedans, tout se trame, tout s'étripe, tout s'étend, tout explose. C'est plus du concert, c'est plus du combat, c'est plus tremblant, c'est de la fissure de chrysalide, de la prise de pouvoir, de la révolution, du grand "blam" de flammes sur les blâmes passés. Y a plus qu'à tomber la veste et se laisser porter, perdre la mesure dans les tapes démesurées. Faire hurler le chaos jusqu'au monde écraser, et frapper fracassant l'effrayante torpeur jusqu'à y faire résonner la déraison. Whiplash a frappé fort, car nous rêvons tous de vibrer.