Sec comme un coup de fouet
Redoutable réflexion sur le dépassement de soi, "Whiplash" met en scène un professeur de musique au conservatoire et son élève, un batteur prometteur de 19 ans.
Le film repose intégralement sur l'affrontement entre ses têtes d'affiche, toutes deux remarquables. Terence Fletcher (J. K. Simmons, vu dans Oz) repère Andrew (Miles Teller) et décide de l'intégrer au groupe de jazz qu'il dirige. Les autres élèves ne sont que des faire-valoir : le maître a décidé de se concentrer sur Andrew afin de l'amener à progresser, à se dépasser, coûte que coûte. Il ne poursuit en effet qu'un but - découvrir le "prochain Charlie Parker" - et l'on ressent un malaise progressif en découvrant ses méthodes. Violence physique, psychologique, injures et autres humiliations transforment rapidement l'élève. Comme son maître, il renonce à tout pour se consacrer pleinement à son art. Comme son maître, et désormais convaincu de son propre potentiel, il humilie les batteurs remplaçants de son groupe, qu'il qualifie de "tourne-pages".
Pour autant, il progresse. Il progresse vite, et l'on se prend à croire aux méthodes sadiques du professeur. Ce dernier dénonce l'époque égalitariste qui empêche selon lui l'éclosion des talents et prohibe tout dépassement de soi : cette vision réactionnaire justifie toutes les outrances. Pour autant, n'est-ce pas le choix d'Andrew que de réussir à tout prix ? Terence Fletcher n'est-il pas un mal nécessaire, le seul moyen pour le musicien de se dépasser et peut-être s'extraire de son temps ?
Damien Chazelle signe à seulement 29 ans une oeuvre en partie autobiographique, brillante et mystique. Les plaies qui apparaissent sur les mains du jeune batteur à force d'entraînement acharné rappelleront d'ailleurs les stigmates du prophète : courez contempler, impuissants, la corruption de son âme.
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