A la recherche du bon tempo
Grand prix du jury au festival de Sundance et Deauville, Whiplash croule sous les récompenses et louanges. C'est avec cette excellente réputation, que le film débarque enfin sur nos écrans, comme un ultime cadeau concluant une nouvelle année cinématographique riche et diverse.
Le réalisateur et scénariste Damien Chazelle, adapte lui-même son court-métrage, du même nom de 2013. Il retrouve JK Simmons, rajoute le jeune et talentueux Miles Teller, pour nous offrir la perle de cette fin d'année.
Andrew Neyman (Miles Fletcher) veut devenir le nouveau Buddy Rich (batteur de jazz légendaire), pour y parvenir, il entre dans le prestigieux Shaffer Conservatory, l'un des meilleurs du pays, ou officie Terence Fletcher (JK Simmons), un enseignant despotique.Terence est à la recherche de son Charlie Parker "Bird", un des plus grands saxophoniste de jazz. Lui et Andrew ont le même désir, se hisser au niveau de leurs références, en tirant le meilleur de chacun, mais surtout du dernier, au risque d'y laisser sa santé et vie.
Le duel est intense, le maître JK Simmons face à l'élève Miles Teller. Le contexte d'une salle de répétition, pourrait tout aussi bien se transposer dans une salle de boxe. C'est un combat permanent, superbement mis en scène par Andrew Neyman, filmant au plus près leurs visages en sueurs, leurs veines saillantes, jusqu'à l'épuisement.
La partition est parfaitement orchestrée, le duo d'acteurs est prodigieux, JK Simmons n'avait plus eu un rôle aussi imposant depuis la série "Oz". C'est un second rôle solide au cinéma, un récurrent chez Jason Reitman, qui est ici producteur. Il s'est construit un corps de bodybuildeur, imposant sa présence physique à ses élèves, les menant à la baguette, tel le chef d'orchestre, qu'il est. Il use aussi des mots pour les envoyer dans les cordes, rappelant le sergent instructeur Hartman dans "Full Metal Jacket". Le rapprochement est encore plus flagrant, avec sa première "victime", un homme en surcharge pondéral, qui renvoie à "Baleine". Il a fait de ses élèves, des pantins, qu'il dirige d'une main de fer, qu'il ouvre et ferme, selon son bon vouloir, leur imposant sa volonté. Il est le seul maître à bord, faisant d'eux ses esclaves, soumis à sa haute exigence.
Face à lui, Miles Teller continue de s'imposer comme un des acteurs les plus doués de sa génération. Avec sa gueule cassée, il était déjà excellent dans "Spectacular Now" en début d'année. Là, il franchit une nouvelle étape dans sa carrière, en démontrant sa capacité à rendre un personnage effacé au début, solitaire, en manque de confiance, mais se révélant imbu de lui-même et arrogant, au contact de ce maître, à l'influence néfaste.
Du sang, des larmes et de la sueur, sont les ingrédients pour arriver au sommet de son art. Un parcours fait de sacrifices, au risque d'y perdre la santé ou l'esprit. C'est dans cette optique, que Damien Chazelle a construit son histoire. Le talent ne s'acquiert qu'avec le travail, en s'y consacrant corps et âme, en éliminant tout ce qui peut interférer, d'ou la quasi-absence de personnages féminins. Terence Fletcher est seul, Andrew Neiman le sera aussi, comme son père, Mr Neiman (Paul Reiser), sauf que pour ce dernier, ce n'est pas son choix.
Le film évite de tomber dans le pathos, mais aussi dans le manichéisme primaire, en étant constamment sur la corde raide et en surprenant par les directions prises, jusqu'à un final grandiose, ce combat final, dans une arène comble.
C'est dans une ambiance jazzy et sombre, que l'on suit ce duel, superbement éclairé et photographié. C'est au rythme des répétitions du band, des solos de Miles Teller, des champs et contre-champs, des gros plans sur les instruments, les doigts, les gouttes de sueurs finissant sur les cymbales, explosant sous les baguettes, que le film prend aux tripes et ne nous laisse pas indemne, face à cette débauche d'énergie et de violence sourde.
Whiplash est un grand film, de ceux qui ne laisse pas indifférent, qui séduisent autant l’œil, que l'oreille, donnant envie de battre en rythme, à chaque mesure et de retourner le revoir, pour ressentir à nouveau, toutes les émotions qu'il procure, du grand cinéma, à consommer sans modération.