Andrew, dans Whiplash, aspire à la même apothéose que la Nina de Black Swan, jusqu'au bout de la douleur, dans les derniers retranchements psychologiques.
Si Darren Aronofsky pare le destin de son héroïne d'un goût de drame aux confins du fantastique et de l'horreur, Damien Chazelle choisit la réalité la plus nue, constamment baignée d'ambre et d'un jazz entraînant qui a tout du frénétique sous les baguettes de son personnage.
Car Whiplash, c'est l'accession à la perfection et le dépassement de soi. Uniquement tendu vers cet instant magique où la musique baisse peu à peu et où l'on n'entend plus que le sang qui cogne dans les tempes au rythme des percussions. C'est l'apprentissage, la souffrance, l'entraînement par la violence et l'humiliation, comme dans Full Metal Jacket et son sergent instructeur Hartman.
Si, à ce titre, J.K. Simmons ne peut rivaliser avec R. Lee Ermey, le duel psychologique qu'il entame avec sa nouvelle recrue est cependant tout aussi impressionnant que vertigineux. Le poussant à bout, brisant, avec méthode et un sadisme ambigu, ses repères et ses certitudes, il emploie la manière forte, la seule qu'il connaisse, pour tirer la quintessence de son poulain et le faire accéder à la postérité musicale.
Et mine de rien, ça marche. Débute alors un jeu d'attraction/répulsion malsain dans lequel les victimes consentantes de ce mentor vachard, même si celles-ci en ont peur et encaissent ses vexations, continuent en vain, malgré les humiliations, de chercher son approbation ou simplement un geste de soutien, un encouragement, un compliment.
Et Andrew, malgré lui, de voir déteindre son noir mentor en privé, dans sa relation avec les autres, avec sa petite ami qu'il congédie sans ménagement. La volonté de l'élève d'être le meilleur se confond alors, dans un miroir assez peu flatteur, avec alors à celle du maître de garder le contrôle et de le conserver en état de soumission, jusqu'à ce qu'ils se sautent littéralement à la gorge et se cannibalisent mutuellement, tous les deux arrivés au bout d'un chemin sans issue.
Et c'est dans un duel final paroxystique que se régleront les comptes. Mais non à coups de poings ou par armes interposées. Non, c'est une ultime humiliation du mentor qui poussera l'élève à puiser au plus profond de lui-même et de sa haine la volonté de relever ce dernier défi et de déposséder son bourreau du contrôle des événements. Et là, c'est Andrew, enfin, qui brise les règles et imposent le tempo d'une confrontation frénétique en forme de paroxysme apocalyptique.
Mais en lui faisant la démonstration de ses capacités, l'élève ne fera que conforter son mentor dans son approche : on n'obtient rien sans se faire violence, et surtout, sans la subir. Dès lors, la délivrance à laquelle on pensait tout d'abord assister se dissipera peu à peu, renouvelant une fascinante question : celle de la dialectique maître / esclave sous un jour musical nouveau, incroyable de tension et de force brute.
On ne peut ressortir de Whiplash qu'en étant secoué. Par la confrontation de ces deux personnages, les performances musicales filmées de manière magique. Mais surtout, on ressort de Whiplash bluffé d'avoir été sous l'emprise de cette oeuvre intense si évidente et jusqu'au boutiste.
Behind_the_Mask, All that jazz.