Comment parler de Whiplash sans tomber ni dans l’interprétation facile, ni dans la surinterprétation ? Dans le premier cas, je ne verrais dans le prof de musique qu’un ressassé du sergent Hartman de Full Metal Jacket, qu’un merdeux imbu de sa personne en son disciple, et une énième variation du mythe d’Icare pour la structure générale. Dans le second cas, je prendrais le risque de vous évoquer une histoire qui, recoupée avec le ressenti de la mienne, vous serait inévitablement étrangère. Dans un cas comme dans l’autre, je ne ferais que tergiverser, et c’est malheureusement ce qui est en train de se passer ici.
Bref, vous l’aurez compris, donner envie de voir Whiplash n’est pas chose facile. Alors il y a évidemment cette confrontation magistrale entre le prof impitoyable et l’élève tenace, oscillant constamment entre le duel crasseux d’un western spaghetti et la relation filiale, pudique et vacharde d’un Will Hunting ; mais il y a surtout cette confrontation avec soi-même, véritable obsession destructrice, qui le fait répéter indéfiniment le même morceau à s’en arracher la peau des mains, recommencer, rompre avec sa copine pour se restreindre uniquement à la musique, écouter l’extrait en boucle dans son baladeur…
On pense à Pi, Requiem for a dream ou encore Black Swan – tous trois signés Darren Aronofsky, dont l’influence sur le travail de Damien Chazelle est flagrante -, qui représentaient déjà l’autodestruction et l’aliénation de manière organique et latente. Whiplash est un film difficile, donc, usant, rugueux, mais qui ne manquera pas de vous marquer durablement, autant pour la mue douloureuse de son protagoniste que son final, jouissif et grandiose.