Pour les dramédies américaines modernes, qui cherchent à faire rire et pleurer autour de portraits d’individus dont les circonstances peuvent être extrêmes mais qui restent pourtant si reconnaissablement humains, pour les films de cet acabit, tout repose sur le scénario, faute de rarement construire une vraie mise en scène autour.
Ce scénario doit se montrer malin, sensible, pertinent, avec un peu de sagesse et de fantaisie saupoudrées par-dessus, pour figurer l’apprentissage des leçons les plus dures de la vie, avec peut-être la larme à l'œil mais quand même le sourire aux lèvres.
Cette sensibilité se doit d’être générique, pour que n’importe qui puisse s’y retrouver. Sous les spécificités de l’intrigue, qui encore une fois peut prendre l’apparence de circonstances rocambolesques ou aventureuses, le focus principal demeure donc des frustrations professionnelles, des aléas de santé ou des querelles amoureuses qui pourront être reconnues par tout un chacun. Comme dans la vie, le happy-end n’est pas toujours garanti, mais toujours, toujours doit être trouvé une résolution. Comme une romance sans guimauve, comme une comédie qui prend un air grave, comme un drame qui se détend un peu.
Si vous voulez densifier le propos, complexifier les rapports humains, sortir davantage du moule, capturer quelques chose d’un peu plus unique parmi le champ de l’expérience humaine, où tout simplement trouver des gags plus originaux et une mise en scène plus fouillée, tournez-vous vers Mike Mills, Wes Anderson, Noah Baumbach…
Si vous voulez rester simple et direct, reconnaître des patterns et ne pas laisser les images ou le ton du film trop vous troubler, tournez-vous vers Michael Showalter, Cameron Crowe ou comme ici, le duo Ficarra/Necca.
Alors, on dirait que je m’apprête à tirer à feu nourri sur ce genre de film, mais pourquoi faire ? Ce ne sont pas des films compliqués, c’est un genre un peu scolaire, mais alors ? Se contenter de mettre en image un scénario peut-être authentiquement drôle et touchant, qui sait, ce n’est pas un crime. Mais qu’est-ce qui se passe quand ce type de film se fait trahir par son scénario et que le moment de catharsis feel-good ne se produit pas du tout ?
Whiskey Tango Foxtrot est un bon exemple de ce genre d’événement. En apparence, je vois ce qui a pu séduire le studio : une histoire vraie sur une femme qui se cherche, de l’humour et du drame, un duo de réalisateurs ayant déjà fait ses preuves dans ce genre d’exercice, et la grande Histoire en toile de fond, pour densifier la résonnance autour de cette grande aventure qu’est l’existence humaine.
Mais quel erreur de jugement de croire qu’on pourrait en avoir quelque chose à foutre des peines de cœur, des frustrations professionnelles et même de la crise de la quarantaine d’une femme qui couvre la guerre en Afghanistan ! Quel nombrilisme, quel complaisance de croire que cette semi-comédie romantique / semi satire médiatique parviendrait à occulter le fait qu’elle instrumentalise une guerre pour prétendre avoir des choses à dire.
Trop bête pour être mal-intentionné et trop bateau pour être totalement insultant, le film s’en sort avec l'apparence d'un projet mal avisé, ce qui est un moindre mal. Mais ça me dépasse quand même de me dire que quelqu’un a pu voir l’histoire d’une femme qui se fait chier et pour qui la guerre en Afghanistant devient un stimulant inattendu, plein de dangers, de personnages hauts-en-couleurs et porteur d’une gloire inespérée, et se soit dit “Quelle histoire enrichissante !”
Et qu’on ne me dise pas que le film critique en réalité tout ça, en montrant que Micheline se rend finalement compte de ses erreurs de jugement. Parce que le film se conclut d’abord sur un soldat mutilé qui lui dit “Pas de soucis ma grande, t’as fait ce que t’avais à faire, donc aucun regret à avoir ! On t’aime toujours !”, puis sur une éventuelle résolution de ses peines de cœur, littéralement au milieu de son travail de journaliste. Donc le problème de perspective demeure toujours, parce que la validation d’une trajectoire férocement individuelle, où le monde extérieur est mis au service de l’accomplissement personnel plutôt que l’inverse, reste le propos du film.
Un problème de perspective d’autant plus dur à encaisser quand le peuple afghan n’existe ici qu’à travers ses différences de traitement envers les femmes, qui n’est, semble-t-il, que ce que Micheline, femme américaine moderne, a pu observer pendant ses trois années passées dans le pays. Les Afghans paraissent donc comme un peuple essentiellement rétrograde et qui par ailleurs, discrètement, en toile de fond, se font pilonner la gueule par les Américains et les talibans dans un conflit qui a le mérite de redonner le goût de la vie à Micheline.
Par contre, on débarque comme des touristes dans le milieu des reporters de guerre, montrés comme un univers excitant, tellement sexe, drogue et rock’n’roll, beaucoup plus intéressant que ce qui peut se passer en dehors. C’est la guerre comme exotisme. Et s’il faut bien se résoudre à quitter ce milieu, il nous en restera des souvenirs inoubliables, semble nous dire le film, qui ne porte en réalité aucune vision satirique sur celui-ci.
Le film est donc complètement à côté de la plaque, ni drôle, ni incisif, mais sérieusement gonflant. La sympathie qu’on peut ressentir pour les comédiens et la mise en scène tout juste compétente aident à faire passer la pilule, mais c’est vraiment tout ce qui a à retenir de ce film bête, bête, bête.