White God par Jack L'Eventreur
Le cinéma de l’Europe de l'est de ces dernières années semble en excellente santé et ne cesse de nous surprendre par sa force et sa vitalité. Qu'il s'agisse de la Roumanie(Christian Mungiu,Christi Piu......), de la Pologne(Pawel Pawlikowski,Jerzi Skolimowski......) ou de la Bulgarie(Konstantin Bojanov.....) pour n'évoquer que les cas les plus récents, sa production fait de plus en plus parler d'elle et glane de nombreux succès dans le monde. Si cela demeure une très bonne nouvelle pour le 7ème art, on ne peut malheureusement pas en dire autant pour la pérennité intérieure des pays concernés.
Ce que nous donne à voir Kornel Mundruczo de sa Hongrie natale est symptomatique d'un malaise qui parcours notre société depuis quelques années déjà, au delà des rives du Danube.Dans une Europe en proie aux pires difficultés sociales, la crise d'identité que nous traversons provoque un profond rejet de la pluralité ethnique qui fonde nos diverses origines, et plus grave encore, l'instrumentalise en bouc émissaire de tous nos maux. Il est à cet égard frappant de constater que la notion de "race" fait un retour en force fracassant alors qu'elle était, pour ainsi dire, portée disparu à l’orée d'une UE prospère à son commencement. Parallèlement à cette angoisse resurgit une montée en puissance plus qu'inquiétante d'un nationalisme populaire et populiste qui n'est pas sans rappeler la fragile construction de cette Union au sortir de la Grande Guerre, destructrice aussi bien humainement qu'idéologiquement.
Le rapprochement est alors tout trouvé entre l'actualité brûlante qui nous gouverne et ce film allégorique qui bâtit sa trame narrative autour de cette réalité. Le hasard n'a évidemment pas sa place ici quand à la transposition canine des faits. Quelle meilleure approche qu'aborder l'histoire sous l'angle du meilleur ami de l'homme? ces canidés, très tôt définis par leur race animale, symbolise à merveille le traitement de faveur selon le bon vouloir de leurs maîtres. Qu'ils se soumettent à leurs désirs les plus extravagants et ils en seront récompensés de la plus belle façon, mais gare à ne pas désobéir sous peine de ne servir que de faire valoir à la merci de nos sautes d'humeur. L’anthropomorphisme qui nous pousse à "humaniser" nos animaux révèle bien la nature pernicieuse de nos rapports ambigus.Les soumis représentent la "race pure", obéissante et docile, tandis que les insubordonnés échappent à la masse dominante, "traîtres bâtards" à l'existence bien précaire. Métaphore d'une entité qui se méfie et méprise ses déracinés, le long-métrage tisse sa trame scénaristique sur cette défiance. Autre idée qui le sou-tend est l'incapacité de l’humain à supporter une espèce égale à la notre. Dans sa mégalomanie à vouloir envahir et maîtriser l'espace vivant, il ne supporte pas d’être confronté à toute autre forme d'intelligence et entend bien le lui faire payer.
Hagen, ce chien errant abandonné à contre-cœur par sa jeune et farouche partenaire, tel un gladiateur des temps modernes réunit ses complices pour renverser l'ordre établi et nous éradiquer. La conscience animale, trop longtemps bafouée par la méprise de ses affidés, entend bien sonner le tocsin. Tout au long d'un harassant parcours initiatique qui le verra croiser les chemins d'un mendiant au premier abord conciliant mais définitivement profiteur, d'un organisateur de combats clandestin incroyablement brutale et une horde de dresseurs tous plus sauvages les uns que les autres surgira en lui un impérieux besoin de domination meurtrière. C'est la révolte des opprimés, dont le cri de liberté rejoint dans un même geste rageur le soulèvement de Spartacus et les esclaves, autre grande figure de L'Héroïsme Moderne. La correspondance avec l’œuvre de Kubrick n'est peut être pas aussi fortuite que cela, notre contemporaine barbarie singeant abusivement la fureur sanglante de L’Épopée Romaine. Ajoutez y une touche de surréalisme fantastique période volatiles Hitchcockienne ou féline Tourneurienne et vous aurez une idée de l'inspiration et de l'ampleur ingénue du résultat final. Ou quand le règne animal agit comme un révélateur troublant de nos peurs les plus primales et suggère un renversement philosophique des forces vivantes.