Willie Boy
6.6
Willie Boy

Film de Abraham Polonsky (1969)

Plus de vingt ans après avoir tourné et coécrit le fameux Force Of Evil (L’Enfer de la Corruption), qui lui attira les foudres du comité Red Scare, initié par le sénateur McCarthy, et le cantonnera à devoir écrire sous pseudo, notamment le script de l’excellentissime Odds Against Tomorrow (Le Coup de l’escalier) de Robert Wise, le réalisateur et scénariste Abraham Polonsky met en scène ce western à la thématique éminemment universaliste et intemporel.


Pour qui n’a jamais vu le film et n’en connait pas l’intrigue, il est évident que le Willie Boy du titre est interprété par la jeune star d’alors tout juste sortie des succès critiques que furent le The Chase (La Poursuite Impitoyable) d’Arthur Penn et This Property is condemned de Sydney Pollack. L’affiche ne trompe pas. Alors un film sur la traque d’un indien au titre de Willie Boy avec Redford dans le rôle titre ? Et bien pas du tout. La star y interprète le shérif Cooper, et c’est précisément lui qui dirige la traque de l’indien interprété par Robert Blake, le futur fameux flic à moto de l’excellent et totalement atypique Electra Glide in Blue de James William Guercio.


Alors de quoi est-il question dans ce western par un réalisateur « blacklisté » qui doit forcément revenir en colère ? Et bien, il s’agit d’un film d’une grande sobriété qui ne tombe pas dans la fameuse rhétorique tarte à la crème comme nous le vend tant la presse idéologiquement centrée française du genre Télérama ou Inrocks, mais est d’une plus grande subtilité que ne laisser présager son sujet. On parle de la traque d’un indien recherché pour avoir commis l’assassinat du père de sa fiancée, mais un indien ne traversant pas les grandes plaines de l’ouest à dos de cheval vêtu de ses habits de guerre et ses mocassins en peau de bête, puisqu’on est déjà dans l’ère du modernisme avec une scène d'intro montrant l’arrivée d’un train dans lequel il voyage illégalement, et descend donc en marche, sur ses propres terres dans un générique accompagné d’une bande son plutôt sobre signée Stanley Wilson.


Il arrive sans trop déclencher de méfiance de la part des autochtones et devient immédiatement la cible d’un vendeur d’alcool, un détail qui ne passe pas inaperçu quand on connaît les soucis que pose le fléau de l’alcoolisme dans la société amérindienne, encore aujourd’hui. L’intrigue principale du film qui est un élément déterminant, en l’occurrence la traque, sert en filigrane à instaurer un étrange climat à la limite du fantastique parfois, et sert de véhicule au réalisateur pour montrer des évidences qui sautent aux yeux et que tout le monde connait sans appuyer dessus de manière excessive. Ça découle d’évidences et ça montre bien l’état d’esprit de l’époque.


Afin d’étayer ses propos, Polonsky a recours à des procédés diffus mais discrets et n’omet jamais de recourir à une méthodologie très ancrée western, dont une photographie de très grande qualité montrant les paysages de la Californie aride absolument magnifiques. Il en utilise les principaux attraits esthétiques, dans un environnement crépusculaire d’une époque révolue où les guerriers apaches chevauchaient les grandes plaines arides du grand ouest sauvage. Le passage du fuyard sobrement interprété par Robert Blake, dans un village de ses ancêtres abandonné donne au film une sorte d’apparat de tradition désincarnée.


Au lieu de bêtement opposer les deux civilisations, Polonsky étaye son propos en mettant en parallèle les deux principaux protagonistes et leur manière d’être, leur comportement avec les femmes qui est à peu près le même, c'est-à-dire sincère mais rustre, leur façon de se déplacer et de penser qui est assez similaire, pour finalement les confronter dans une scène finale de cache-cache très bien réalisée.


C’est d’une manière méthodique et une grande sobriété qui n’omet néanmoins pas d’inscrire quelques évidences qui sautent aux yeux, que le metteur en scène réussit son travail de mise en abîme sans user des ficelles redondantes et pesantes que préfigurait son sujet. Même si l’on peut lui reprocher un problème de rythme et un équilibre pas toujours bien dosé entre le déroulement de l’intrigue et quelques scènes d’exposition un peu pesantes qui n’apporte pas grande chose au déroulé, force est de constater que le pari de l’auteur est réussi et nous ouvre un champs de réflexion imparable sur la condition de l’autochtone chassé sur sa propre terre. Mais sans montrer l’opposition de manière endémique et d’en user pour prouver des choses qui crèvent l’écran et que l’image seule met très bien en évidence.


La scène finale montrant le shérif se lavant des mains ensanglantées avec la terre d’un sol qu’on peut juger souillée par ce dernier geste presque cathartique porte à elle seule toute la symbolique de ce film.

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le 8 nov. 2019

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