Précédemment scénariste à plein temps, Taylor Sheridan passe derrière la caméra afin de clôturer sa trilogie sur la « frontière américaine moderne », amorcée avec « Sicario » et « Comancheria ». Difficile de rester insensible face à une telle dureté et réalité. Le réalisateur attire toute notre attention sur ce qui compte réellement dans ce monde dépourvu de justice. On tend de nouveau vers une enquête sensible, mêlant les doubles interprétations, ainsi qu’une double lecture tragique.
Le thriller annonce rapidement la couleur et le ton. Le paysage est un personnage dont la sauvagerie n’a d’égale que son silence. Le climat, froid et impitoyable, rappelle à l’ordre en quoi nous ne sommes pas toujours maître de nos conditions de vie. On ne choisit pas et la plupart se retrouve retrancher dans ces plaines gelées, où la réserve amérindienne devient un axe de narration non négligeable. La comparaison avec la Nature est de rigueur mais lorsque le peuple en question se trouve isolé, il ne reste que des miettes à ramasser…
Jane Banner prend ses responsabilités aux sérieux et l’on découvre avec stupéfaction le fossé culturel qui la sépare des habitants, plaçant l’état hivernal dans une stase rigide et incassable. Elizabeth Olsen campe un agent maladroit par moment, dont on ne reprochera pas la détermination dans sa quête de réponses et de justice. Elle trouvera complémentarité auprès du chasseur et pisteur Cory Lambert, incarné par un Jeremy Renner bluffant. Il soulève un caractère primitif, ne manquant pas de signer son lyrisme, parfois excessif, au passage. On l’assimile à une poésie mélancolique où la brutalité trouve sa place et se doit d’être domptée afin de subsister. Le personnage brisé qu'il est reste un archétype redondant dans le genre, mais il suggère un ton embrassant le respect et la sensibilité comme jamais.
Sous ses airs de western moderne, le récit n’hésite pas à exploiter le flash-back en sa faveur. Le procédé mesure la dimension narrative et rythmique afin de ne pas éparpiller les indices. On y découvre alors toute la terreur, écho dramatique et indirecte de l’addiction, des meurtres et des viols. Confinant tout le propos dans un paysage aussi large et paisible, le réalisateur fait mine d’opposer une résistance chez les autochtones dans le but de mieux appréhender leur souffrance. Non loin de la réalité, les statistiques n’évoquent que du vent. Et on nous rappelle alors qu’au-delà de la frontière du système centralisé, on n’y trouve qu’ombre et poussière.
Sheridan brise ainsi les parenthèses que l’Amérique tend à étouffer dans un déluge de désolation et de souffrance. « Wind River » illustre à la fois ce que la justice élémentaire apporte au chaos et réciproquement. Cela étant, la nature aura toujours raison sur la volonté ou quelconque détermination de l’Homme, passager sur les terres indomptées du Wyoming. Grâce à une mise en scène triomphante, l’intrigue intéresse, l’intrigue transmet et l’intrigue rebondit sur nos émotions en faveur de la minorité ou simplement des victimes, toutes prisonnières du temps et de la glace.