Le Festin de Babel
Il faut commencer par chercher, longuement, à s’astreindre à un esprit de synthèse face au continent Winter Sleep. 3h16 de dialogues, la plupart en intérieurs nuit, ou lactés d’une lumière blafarde...
le 24 août 2014
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Un vrai retour au source de ce que j'avais adoré chez Bilge Ceylan avec ce Winter Sleep. Rappelant énormément Uzak dans la description de l'ennui et de l'inaction des personnages, le film frappe surtout par les écarts qu'il a avec les début de la filmographie du réalisateur. Travaillant ici bien plus les dialogues et laissant au final très peu de place aux longs silences auquel il avait le secret.
Mais déjà rappelons la première chose qui frappe quand on voit le film, sa beauté. On était habitué aux magnifiques plans d'ensemble du réalisateur, à sa façon de filmer la nature dans un calme et une plénitude rappelant énormément Antonioni ou Tarkovski. Ici le film se passe énormément en intérieur, avec cette lumière blanche laiteuse de l'hiver, du jaune du feu de cheminée, de ses silhouettes qui errent dans la nuit ou l'obscurité d'une pièce. C'est rare et surtout un peu galvaudé de dire ça mais tout est magnifique, des paysages aux gros plans, de ses maisons dans la pierre à ses intérieurs. C'est un régal pur pendant ses 3 heures.
En plus de ça la beauté surgit dans des plans extrêmement simple, même si les plans large en extérieur sont sublimes il arrive à créer du beau avec une épure qui force le respect. C'est un simple plan d'un homme de profil avec son ombre en arrière plan devant lui, c'est découvrir la neige qui tombe d'un balcon, c'est une scène avec un cheval blanc de nuit quasiment irréel.
Evidemment en plus de son talent purement esthétique ce qu'on cherche en plus chez le réalisateur c'est son rythme, cette ambiance si particulière quasi irréel où tout est en flottement. Et c'est là où le parallèle avec Uzak et Winter Sleep est énorme. Le film est presque le revers, la face caché, l'extension de Uzak. Dans le premier on part des montagnes pour finalement être piégé dans l'inaction par Istanbul, dans l'autre c'est l'inverse on est piégé dans ses montagnes où notre seul rêve est de partir pour aller à Istanbul.
Mais dans les deux cas les personnages sont enfermés dans leurs propres faiblesses, dans les mensonges qu'ils se font sur eux-mêmes et ce qu'ils sont et finalement ne font rien. Le discours et le procédé est le même dans les deux films, des personnages qui par eux-mêmes restent statiques et s'ennui, tout en ayant comme volonté de sortir de cette torpeur. Sur les raisons de leurs inactions nous sommes par contre plus proche des trois singes, avec ses personnages se cachant volontairement la réalité sur eux-mêmes pour se protéger mais qui pourtant les écrasent et sont la raison de leurs souffrances.
Mais la différence avec le début de sa carrière est pourtant énorme, contrairement à ses premiers films (en tout cas ses premiers succès) qui travaillaient avec un talent fou les silences ici c'est l'inverse total. Le film est bavard, très bavard. Et j'aurais pu avoir peur justement de perde ce que j'adorais chez lui, cette torpeur très Antonionienne dans laquelle il me plongeais par ses silences qui finalement en disait beaucoup. Mais finalement c'est incroyable, les dialogues et les interprètes du film sont splendides. L'intelligence de l'écriture sur ses engueulades de ses trois personnages qui sa crachent les quatre vérités et finalement l'épuisement, le dégoût, la haine qu'ils peuvent avoir envers les autres. Mais surtout comment ses personnages se débine sur la réalité de leur propre médiocrité. D'un ancien comédien qui écrit des articles minables pour un vieux canard au lieu d'écrire son roman, de sa femme qui fait de la fausse charité pour se sentir bien et de sa soeur qui méprise tout le monde pour cacher le fait qu'elle n'arrive pas elle même à régler les regrets qu'elle a. Tout cela en plus avec l'art de Bilge Ceylan de faire ça dans un calme sublime, la violence et l'apprêté des dialogues est quasiment sous marine. C'est d'une finesse tout simplement magistrale qui donne lieu à une fin, avec un dialogue attendu par un personne qui finalement ne sera jamais dit, déchirante.
Même si je préfère la première partie du cinéaste, avec ses silences, il faut reconnaitre que le virage très verbeux prit à partir de Il était une fois en Anatolie reste somptueux. Au final quelques soit les variations qu'il apporte dans son cinéma, Bilge Ceylan a l'art d'écrire des personnages, de cadrer, d'agencer le tout dans une rythmique parfaite où 3 heures d'ennui de personnages qui se voilent la face sont un régal et d'une maitrise splendide.
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Créée
le 22 août 2021
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