Un vrai retour au source de ce que j'avais adoré chez Bilge Ceylan avec ce Winter Sleep. Rappelant énormément Uzak dans la description de l'ennui et de l'inaction des personnages, le film frappe surtout par les écarts qu'il a avec les début de la filmographie du réalisateur. Travaillant ici bien plus les dialogues et laissant au final très peu de place aux longs silences auquel il avait le secret.


Mais déjà rappelons la première chose qui frappe quand on voit le film, sa beauté. On était habitué aux magnifiques plans d'ensemble du réalisateur, à sa façon de filmer la nature dans un calme et une plénitude rappelant énormément Antonioni ou Tarkovski. Ici le film se passe énormément en intérieur, avec cette lumière blanche laiteuse de l'hiver, du jaune du feu de cheminée, de ses silhouettes qui errent dans la nuit ou l'obscurité d'une pièce. C'est rare et surtout un peu galvaudé de dire ça mais tout est magnifique, des paysages aux gros plans, de ses maisons dans la pierre à ses intérieurs. C'est un régal pur pendant ses 3 heures.
En plus de ça la beauté surgit dans des plans extrêmement simple, même si les plans large en extérieur sont sublimes il arrive à créer du beau avec une épure qui force le respect. C'est un simple plan d'un homme de profil avec son ombre en arrière plan devant lui, c'est découvrir la neige qui tombe d'un balcon, c'est une scène avec un cheval blanc de nuit quasiment irréel.


Evidemment en plus de son talent purement esthétique ce qu'on cherche en plus chez le réalisateur c'est son rythme, cette ambiance si particulière quasi irréel où tout est en flottement. Et c'est là où le parallèle avec Uzak et Winter Sleep est énorme. Le film est presque le revers, la face caché, l'extension de Uzak. Dans le premier on part des montagnes pour finalement être piégé dans l'inaction par Istanbul, dans l'autre c'est l'inverse on est piégé dans ses montagnes où notre seul rêve est de partir pour aller à Istanbul.
Mais dans les deux cas les personnages sont enfermés dans leurs propres faiblesses, dans les mensonges qu'ils se font sur eux-mêmes et ce qu'ils sont et finalement ne font rien. Le discours et le procédé est le même dans les deux films, des personnages qui par eux-mêmes restent statiques et s'ennui, tout en ayant comme volonté de sortir de cette torpeur. Sur les raisons de leurs inactions nous sommes par contre plus proche des trois singes, avec ses personnages se cachant volontairement la réalité sur eux-mêmes pour se protéger mais qui pourtant les écrasent et sont la raison de leurs souffrances.


Mais la différence avec le début de sa carrière est pourtant énorme, contrairement à ses premiers films (en tout cas ses premiers succès) qui travaillaient avec un talent fou les silences ici c'est l'inverse total. Le film est bavard, très bavard. Et j'aurais pu avoir peur justement de perde ce que j'adorais chez lui, cette torpeur très Antonionienne dans laquelle il me plongeais par ses silences qui finalement en disait beaucoup. Mais finalement c'est incroyable, les dialogues et les interprètes du film sont splendides. L'intelligence de l'écriture sur ses engueulades de ses trois personnages qui sa crachent les quatre vérités et finalement l'épuisement, le dégoût, la haine qu'ils peuvent avoir envers les autres. Mais surtout comment ses personnages se débine sur la réalité de leur propre médiocrité. D'un ancien comédien qui écrit des articles minables pour un vieux canard au lieu d'écrire son roman, de sa femme qui fait de la fausse charité pour se sentir bien et de sa soeur qui méprise tout le monde pour cacher le fait qu'elle n'arrive pas elle même à régler les regrets qu'elle a. Tout cela en plus avec l'art de Bilge Ceylan de faire ça dans un calme sublime, la violence et l'apprêté des dialogues est quasiment sous marine. C'est d'une finesse tout simplement magistrale qui donne lieu à une fin, avec un dialogue attendu par un personne qui finalement ne sera jamais dit, déchirante.


Même si je préfère la première partie du cinéaste, avec ses silences, il faut reconnaitre que le virage très verbeux prit à partir de Il était une fois en Anatolie reste somptueux. Au final quelques soit les variations qu'il apporte dans son cinéma, Bilge Ceylan a l'art d'écrire des personnages, de cadrer, d'agencer le tout dans une rythmique parfaite où 3 heures d'ennui de personnages qui se voilent la face sont un régal et d'une maitrise splendide.

4A3C
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Merci Mubi et Les meilleures Palmes d'or

Créée

le 22 août 2021

Critique lue 32 fois

1 j'aime

4A3C

Écrit par

Critique lue 32 fois

1

D'autres avis sur Winter Sleep

Winter Sleep
Sergent_Pepper
9

Le Festin de Babel

Il faut commencer par chercher, longuement, à s’astreindre à un esprit de synthèse face au continent Winter Sleep. 3h16 de dialogues, la plupart en intérieurs nuit, ou lactés d’une lumière blafarde...

le 24 août 2014

106 j'aime

12

Winter Sleep
Krokodebil
5

Schopenhauer avait raison

Nuri Bilge, deuxième. Je n'ai toujours pas vu les premiers films du cinéaste, outre un extrait peu engageant de Climats et le DVD de Uzak qui traîne chez moi depuis un mois désormais. Ce cinéma ne...

le 9 août 2014

59 j'aime

7

Winter Sleep
SanFelice
8

Hôtel Othello

L'Anatolie. Région rude, brutale, sauvage. Région minérale, où les maisons peinent à se dégager des rochers. Où les habitants ont gardé cet esprit brut. Les plans extérieurs sont aussi rares que...

le 21 déc. 2014

48 j'aime

1

Du même critique

Bo Burnham: Inside
4A3C
5

Avec de l'humour effectivement ça aurait été excellent

Avant ce film je n'avais vu aucun spectacle de Bo Burnham, d'ailleurs il y a deux semaines je ne connaissais même pas cet homme. Mais voilà j'entend une critique dithyrambique sur ce spectacle/film,...

Par

le 9 juin 2021

16 j'aime

3

Il n'y aura plus de nuit
4A3C
8

Juste le vertige causé par une abyme sans ombre

Il n'y aura plus de nuit est un documentaire constitué d'images d'archives militaire ayant fuitées sur le net. Des images d'hélicoptères enregistrées par les tireurs durant la guerre du Golf. Tout le...

Par

le 23 juin 2021

6 j'aime

La Discrète
4A3C
8

Absolument français

Je vais être clair dès le début de cette critique, si pour une raison ou une autre vous détestez le cinéma verbeux, bourgeois, parisien, très littéraire et théâtrale, rohmerien etc... je ne peux...

Par

le 22 nov. 2020

5 j'aime

4