Within our gates, O. Michaux (1920)

Ce film représente à lui seul un moment charnière et controversé du cinéma américain, bien qu'il soit majoritairement inconnu. D'autant plus qu'il est intéressant car il fait écho direct au premier grand film de Griffith : Naissance d'une nation. Rappelez-vous, ce dernier avait était lourdement critiqué et censuré de par son aspect raciste et d'un point de vue sudiste totalement assumé. C'est donc naturellement qu'Oscar Michaux, cinéaste afro-américain décide de se rebeller en réalisant Within Our Gate, une réponse directe au film de 1915.

Commençons par un petit pas historique, essentiel à la compréhension de l'histoire. Michaux, afro-américain donc, peine à se distinguer de ses homologues, notamment par sa couleur ethnique. Peu de productions lui accorderont crédit et il devra financer lui-même ses productions, allant jusqu'à ne faire qu'une seule prise pour ne pas gâcher sa bobine. Les stéréotypes d'hommes noirs, Michaux les connaît bien et décide de consacrer toutes ses économies à un film provocateur abordant la gloire et la sympathie des gens de couleur à l'encontre de la cruauté d'hommes blancs tortionnaires.

Le film de Michaux présente une forte distinction entre le Nord et le Sud, mais aussi des similitudes frappantes. Tout d'abord, une distinction entre le Nord et le Sud est que les Afro-Américains dans le Nord ont été autorisés à voter, à occuper un poste politique et à se faire éduquer. Michaux montre cela à travers les personnages afro-américains du Nord. Ceux-ci sont montrés dans une lumière moderne, en particulier le personnage de Sylvia, représentée comme une jeune femme bien éduquée et bien habillée. Cette représentation de la jeune femme montre que la mobilité sociale est accessible aux Afro-Américains du Nord. Michaux soutient donc le traitement des Afro-Américains au Nord du pays, en appuyant sur leur statut politique et le droit de vote.

Une autre distinction entre le Nord et le Sud est qu'il est possible de prendre des mesures dans le Nord contre les lois racistes. Un bon exemple de cela est le personnage de Dr. Vivian, montré habillé dans une scène et en lisant un livre. De plus, il est présenté comme un homme d'action et concentre donc toute la volonté des afro-américains à se débrouiller eux-mêmes. Une troisième distinction est la teinte de peau. En effet, ceux du Nord ont une peau plus claire que ceux du Sud.

Le Sud, quant à lui, est dépeint comme pleinement raciste. Michaux va jusqu'à inverser la représentation des différentes ethnies faite par Griffith dans « The Birth of a Nation », en montrant les Noirs sous leur meilleur jour et les Blancs comme des sauvages. Sylvia et sa famille sont les «bons» et les méchants sont le maître des esclaves, son serviteur et les autres blancs de la ville.

Le film d'Oscar Michaux était défiant pour son temps. Il a contesté les stéréotypes dans un autre film appelé Naissance d'une Nation et a montré les avantages de déménager dans le Nord. Il ne parvient pas seulement à différencier le Nord et au Sud, mais aussi à présenter des similitudes entre eux. Cependant, Michaux a également averti dans son film que le déplacement vers le Nord pourrait également être un épée à double tranchant, en raison du fait que le Nord était encore raciste comme le Sud, mais le racisme dans le Nord était plus subtil et plus couvert. Michaux souligne également l'importance de créer des écoles afro-américaines, car l'éducation est l'une des façons les plus importantes de réaliser la mobilité sociale. Le film de Michaux projette toujours une résonance inquiétante aujourd'hui, car le racisme est encore aussi fort aujourd'hui qu'il était alors, surtout les médias. La seule différence est que le racisme est plus subtil et a pris des formes différentes, mais c'est encore la même haine qui existe depuis l'époque coloniale.

On a peu abordé la technique tant l'outil passe au second plan de ce film dont l'histoire est chargée de sens. Michaux joue avec les plans en leur donnant du rythme et en coupant presque systématiquement la caméra lors d'une sortie de champ. Il se donne également à cœur joie sur les raccords dans l'axe, passant généralement d'un plan large (exposition) à un plan plus serré (sur l'action ou les expressions). De temps à autre, il effectue l'opération inverse en passant d'un plan rapproché à un plan plus large, afin d'ouvrir le champ de vue sur le décor environnant. Comme mentionné plus haut, disposant d'un petit budget et restant très économe, Michaux ne peut faire de miracles et reste très académique dans sa réalisation.

Vous l'aurez compris, le racisme et la place des Noirs dans la société américaine font partie des thèmes principaux du cinéaste, qui en parle dans tous ses films dans différentes mesures. Véritable précurseur par la mise en scène de vrais comédiens noirs à l'écran, Michaux aura permis aux Afro-Américains de s'émanciper et de pouvoir, eux aussi, figurer comme éléments majeurs du cinéma.