Froid et tranchant comme la lame d’un couteau à cran d’arrêt, Wolf en a aussi l’efficacité. Voilà un film brutal et amer sur l’état des banlieues européennes, qui ne s’encombre pas d’artifices et d’effets de manche. Si sa parenté avec La Haine est une évidence, Wolf s’attarde plus sur ce qui se passe hors des cités, sur les difficultés d’intégration de la population d’origine immigrée. Wolf est un film lucide et sans parti-pris, peut-être le plus gros choc de ce début d’été, discret film hollandais n’ayant pourtant pas à souffrir de la comparaison avec le cinéma international.
À sa sortie de prison, Majid est en liberté conditionnelle et doit se soumettre à un contrôle constant des forces de l’ordre. Embauché dans l’entrepôt où son père travailla durant 30 ans, il supporte mal une vie dont il ne veut pas, préférant de loin continuer à vivre de petits larcins et surtout de la boxe qui lui permet d’évacuer sa rage. Cet amour du combat lui vaudra d’être approché par la pègre, qui veut de lui comme homme de main, l’entrainant dans une spirale dont il finira par perdre le contrôle et qui brisera ses rêves de carrière de champion de boxe, pour lesquels il avait tant sacrifié.
Wolf touche avant tout par sa sincérité, par un humanisme d’autant plus convaincant qu’il n’est pas manichéen. Majid est un garçon qui veut réellement s’en sortir, mais n’a jamais appris à survivre sans faire usage de la violence. Il est pris entre quatre feux qui constituent autant de choix impossibles : la boxe, la pègre, l’amour et la famille. De tous ces choix il fera le plus mauvais, le plus dangereux et finalement, le plus facile. Wolf est sans concession sur l’état des cités européennes, qui sont partout les mêmes délabrements sociaux. Des endroits méprisés, aux populations stigmatisées, qui prennent de force ce que la société refuse de leur laisser gagner dignement. Des populations qui ne connaissent rien d’autre que les trafics, la survie et la débrouille, la plupart du temps en-dehors de la légalité.
On dit souvent de manière hasardeuse qu’un noir et blanc et beau dans un film, comme si c’était un gage de talent. Le réalisateur Jim Taihuttu semble l’avoir compris et travaille réellement le procédé, sans esbroufe ni épate. Les contrastes sont élevés au rang d’art tellement le film est très lisible, malgré un éclairage sombre. Mais c’est la nuit que les images sont les plus belles, la ville apparaissant dans toute la beauté d’une nappe noire parsemée d’éclairages publics. Si le noir et blanc était historiquement une contrainte technique, il est devenu avec le temps un argument artistique, superbement exploité ici.
La bande-originale de Wolf, sobre et pleine d’angoisse, correspond étrangement au personnage de Majid, homme de peu de mots et aux colères imprévisibles. Marwan Kenzari, qui l’interprète, alterne le bon avec l’excellent. Il atteint par moments la grâce des acteurs capables de transmettre les émotions les plus intenses d’un simple regard, tout en retenue et en réserve. Cette musique, ces instants entre Majid et Hamza, son frère malade, tout concorde à créer les moments les plus forts et touchants du film, jusqu’aux larmes…
Wolf est un film sur ce loup qu’est Majid, un homme affamé de tout ce que la vie a offert aux autres, mais lui a refusé. Il veut simplement sa part du gâteau et ne comprend pas que ses règles à lui ne vaillent pas autant que leurs règles à eux. Jim Taihattu fait passer un message fort et clair aux politiques et aux citoyens que nous sommes : dans une société de consommation comme la nôtre, il n’y a rien de plus dangereux que la frustration que nos règles discriminantes engendrent chez les plus défavorisées. Il y malheureusement fort à parier qu’une fois de plus, le message de ce cinéaste tombe dans les oreilles de sourds.
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