Alors que le futur de notre très cher Woody, qui fut pour les gens de ma génération une sorte de pilier de notre amour pour le Cinéma (majuscule, s'il vous plaît), est pour le moins incertain, son dernier film en date (ou dernier tout court ?), "Wonder Wheel", a été à la fois "béni" par un inhabituel financement pléthorique dû au Studio Amazon en quête de crédibilité auteuriste, et "maudit" par un inhabituel déchaînement de critiques négatives. Du coup, cela valait la peine de laisser retomber la poussière pour réfléchir plus calmement à cette nouvelle proposition de celui qui restera, quoi qu'il arrive et qu'on pense de "l'homme Allen", l'un des plus grands artistes de son époque.


"Wonder Wheel" peut être regardé comme une nouvelle déclinaison des obsessions - pas toujours les plus aimables -de Woody : son inépuisable nostalgie des années 40 à 60 avec tous les chromos du genre, son goût pour les mises en abyme et les jeux narratifs un peu faciles, ses interrogations sur la vanité du spectacle et des artistes. Vu sous cet angle, le film est redondant, et sa familiarité se retourne contre lui, l'opulence de ses décors lui conférant un halo déplaisant de film de "nouveau riche".


Il y a pourtant plusieurs aspects qui le rendent passionnant, et ce malgré son scénario un peu paresseux. D'abord sa théâtralité, assez inhabituelle chez ce "pur cinéaste" qu'est Allen, et qui montre à mon sens qu'il n'est pas dupe des moyens dont il dispose cette fois : en faisant sonner sa mini (et triviale) tragédie classique comme un "vieux" Tennessee Williams, il défait malicieusement les efforts d'Amazon pour "raccoler le chaland", et s'inscrit dans une tradition un peu dépassée du cinéma américain. Ce "truc" fonctionne particulièrement bien grâce à son talent reconnu pour tirer le meilleur de ses actrices, et Kate Winslet, débarrassée de ses tics habituels, nous fait une grande - et bouleversante - Liz Taylor. Et constitue la principale raison de regarder "Wonder Wheel".


Il y a ensuite le travail stupéfiant sur la lumière et les couleurs demandé au grand Vittorio Storaro, qui contribue largement à la fascination que le film exerce sur nous : on a beaucoup signalé la référence à "One from the Heart" de Coppola, mais peu de gens ont noté que cette idée d'un changement continu de la lumière, mettant en valeur le jeu de l'acteur et son impact émotionnel sur le spectateur, reprenait à la lettre l'intuition - magnifique et sans doute plus subtile - de Resnais dans son génialissime "Mélo". Même référencée, cette idée de mise en scène de l'émotion par l'image est un beau pari que le film tient obstinément.


On remarquera enfin que Woody Allen prend - pour la première fois ? - ses distances avec une jeunesse qui le fascinait beaucoup dans toute sa récente filmographie : il disqualifie peu à peu les deux personnages interprétés par Timberlake et Temple, il ignore son alter ego enfantin porteur d'une autre fiction qui n'adviendra pas, pour concentrer tout son amour et toute son attention sur le magnifique couple quadragénaire Winslet-Belushi, et terminer son film sur un crescendo de sensibilité qui balaie nos doutes.


"Wonder Wheel", pour imparfait qu'il soit, est plus une demi-réussite qu'un demi-échec, et constituerait si nécessaire un coda plus qu'honorable à l'oeuvre de Woody Allen.


PS : Merci aussi, Woody, pour ce clin d'oeil amusant et très pertinent aux "Soprano"...


[Critique écrite en 2018]

EricDebarnot
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le 28 oct. 2018

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Eric BBYoda

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