Wonder Wheel de Woody Allen raconte les désillusions, les souffrances, les illusions et enfin le crime de Giny (Kate Winslet), un personnage pathétique, actrice ratée, femme passée à côté de son premier amour à cause d'un adultère. Elle est convaincue d'avoir raté sa vie et va profondément tomber amoureuse de Mickey (Justin Timberlake), un bel homme et un beau parleur, qui plus est, plus jeune qu'elle. Alors qu'elle mettait tous ses espoirs en lui, Mickey va peu à peu aimer sa belle fille Carolina (Juno Temple) et elle va en devenir mortellement jalouse, au point de commettre l'irréparable.
Wonder Wheel m'a particulièrement touché, très certainement le Woody Allen le plus touchant depuis Blue Jasmin. Kate Winslet y incarne Ginny, une femme dépassée par les événements, torturée et submergée par les émotions. C'est un personnage extrêmement complexe, une femme secouée par les montagnes russes émotionnelles (les hauts succèdent aux bas). Giny est lunatique, erratique et donc difficile à cerner. Comme pour le personnage incarné par Cate Blanchett dans Blue Jasmine, c'est une femme qui est piégée dans une vie malheureuse et qui est au bord de la rupture. Kate Winslet est fabuleuse dans son interprétation et donne l’une de ses meilleures performances depuis bien longtemps. Sa voix, sa diction, ses expressions, ses temps de pose, tout son jeu colle parfaitement au personnage qu'elle interprète ... Kate Winslet est Giny.
On est tous d'accord pour dire que les meilleurs films de Woody Allen appartiennent à la fin des années 70 (Manhattan et Annie Hall) et se poursuivent dans les années 80 (Stardust Memories, La rose pourpre du Caire, Hannah et ses sœurs, Une autre femme ...). Quant à Wonder Wheel, c'est selon moi l'un des meilleurs Woody Allen des ces 20 dernières années (avec Anything Else, Match Point, Whatever Works, Blue Jasmine et L'Homme Irrationnel) même si on est encore loin du niveau de ses chef d'œuvres des années 70/80.
J'ai lu des critiques reprochant au film d'être trop théâtral, mais pour moi ce n'est pas un défaut et de toute façon je n'adhère pas trop à cette idée. Les seuls qui renvoient franchement au théâtre, c'est le très bon Comédie érotique d'une nuit d'été (même le titre renvoie à Shakespeare), le assez moyen Maudite Aphrodite (un Woody Allen pas très inspiré) et le surprenant Melinda et Melinda (l'un de ses films les plus sous-estimés). Peut-être Manhattan et La rose pourpre du Caire aussi, ont en quelque sorte une pointe de théâtralité, avec ses couples qui se défont et se refont pour le premier et le film dans le film pour le second.
Kate Winslet est l'une de mes actrices préférées, si ce n'est mon actrice préférée, c'est donc une immense joie pour moi de la voir jouer dans un Woody Allen. Giny est l'un des personnages féminins les plus forts et les plus réussis de son cinéma (depuis Jasmine, en fait !) et la lumière de Vittorio Storaro est sublime. Kate Winslet et Vittorio Storaro sont clairement les deux gros points forts du film.
Si le jeu de Kate Winslet est très subtil, je ne pourrais pas en dire autant des autres acteurs. Le jeu de Kate Winslet est très réaliste, c'est ce qui nous rattache au personnage, tandis que tout l'enrobage du film est plus théâtral. Nous avons Mickey (Justin Timberlake) qui occasionnellement brise le quatrième mur, le décor de l'appartement avec vue sur le parc d'attraction qui sent le carton-pâte et les acteurs qui surjouent un peu. Et puis il y a Giny qui se rêve actrice et qui dans la scène finale se retrouve en costume de scène, alors que Justin Timberlake lui lance son accusation (une scène hallucinante qui nous rappelle forcément Gloria Desmond dans Sunset Boulevard).
La théâtralité de l'ensemble est considérablement renforcée par la lumière de Vittorio Storaro, qui est très appuyée et hautement symbolique. La lumière est chaude (le rouge) quand un personnage tombe amoureux et froide (bleuté) quand celui-ci est en pleine désillusion. C'est particulièrement flagrant dans deux scènes, celle de la rencontre entre Kate Winslet et Justin Timberlake, sous le pont en bois près de la plage et celle de l'échange entre Juno Temple et Kate Winslet, dans la chambre de cette dernière le soir de son anniversaire.
Cette mise en abyme émotionnelle et existentielle des personnages peut paraître un peu "too much" (et avec de nombreux sous-textes), mais moi justement j'ai beaucoup aimé le côté théâtre, décors, lumière et jeu des acteurs. Ce Woody Allen là divise pas mal, mais il serait dommage de passer à côté si vous êtes fan du réalisateur éminemment New-Yorkais.