Ne vous laissez pas berner : les films barrés de Quentin Dupieux sont plus fouillés qu'ils n'en ont l'air. Sous les gags anodins dédiés à l'esclaffe générale, Wrong Cops colporte, à lui seul, un chapelet de références culturelles, de codes sociaux et d'influences de tous bords. Il n'y a pas de quoi épuiser Tarantino et la littérature postmoderne, mais l'écriture, structurée à bloc, fait ici un travail si impeccable qu'on en vient à vraiment éprouver de la sympathie intellectuelle pour le barbu aux commandes.
Embarqué dans une ville californienne colonisée par les combines policières, on se prend, avec Wrong Cops, l'absurdité d'une brigade de police détraquée en pleine figure. Marylin Manson, travesti en skater introverti, télescope Mark Burnham, métamorphosé pour l'occasion en flic germanisant dopé 24/7 à la techno psyché, qui tient à apprendre à ce premier ce que c'est que la « vraie musique ». Plus loin, Arden Myrin, en pétasse péroxydée (et consumériste), a bazardé de longue date sa conscience professionnelle et se lance dans des combines délicieusement rebutantes. Steve Little (formidable), en flic lubrique et hagard, se sert tant bien que mal de sa fonction pour assouvir sa perversité, au risque de quelques retours lacrymogènes. Eric, lui, affublé d'un cache-oeil, aspire à composer le tube de l'année.
Effectif réjouissant, donc, mais l'essentiel se joue ailleurs. À savoir que l'univers de Dupieux mobilise tout ce que le cinéma américain compte de clichés éculés pour faire tourner sa boutique. Flic aux toilettes, meurtre du voisin, mag porno, bodybuilding, burgers, chirurgie esthétique, appât du gain exacerbé, grosses poitrines, carcan masculinisant (ou asexué, au choix)... Mis bout à bout, ils prennent dans ce délire au troisième degré une saveur inédite, et juste ironique-absurde. Car si le film s'intéresse de très près aux stéréotypes, c'est pour mieux les détourner de leur sens commun.
L'ambiance polar californien douteux est d'autant plus assumée que le kitsch envahit jusqu'aux effets visuels et sonores. Au générique en lettres capitales doublées succèdent des techniques de montage qui ont mal vieilli : zooms et dégrossissement dégueux, coupures, arrêts sur images, tous empruntés aux mauvais films américains. Le tout est immergé dans une bande-son techno et anatopique de Mr. Oizo (qui normalement n'aurait rien à faire là).
En clair, Wrong Cops sonne un peu comme les bouquins de Pynchon, avec plus de gyrophares tricolores et moins de symboles ésotériques. Univers foutraque, atmosphère burlesque, kitsch ambiant, succession d'interactions improbables, soutenus, en toile de fond, par un désaxement radical des critères de normalité. Ces éléments coagulent ensemble pour installer une incohérence référentielle viable et un fou rire permanent.
Ca devient très piquant (et révélateur du propos) lorsque, lors de l'enterrement conclusif, le chef de brigade entonne un speech chrétien, et que Mark Burnham lui réplique, défoncé, un monologue ponctué de « This world is hell ». Ou quand, devant les réticences de son ami à enterrer un type à moitié macchabée, il rétorque : « It's a horrible thing for him, not for you. »
Reprogrammer les contours de la normalité : c'est bien là, au fond, la petite prouesse du film.