Cela relève de l’évidence : les liens entre sexualité et horreur sont étroits. Ne serait-ce que par la contre-offensive morale qu’ils ont pu susciter. Dans nombre de slashers, sous-genre roi des années 1970-1980, toute partie de flirt ou de jambes en l’air entre jeunes émoustillés est immédiatement sanctionné d’une mise à mort brutale. Le monstre campe alors une métaphore de la chape de plomb puritaine, à laquelle survit généralement un seul personnage féminin (la « final girl »). Ce qui a fait dire à de nombre de contempteurs du cinéma d’épouvante que l’horreur et le cinéma érotique répondent au même besoin libidineux de voyeurisme, d’appétit pour le sexe et la mort.
En érudit qui a digéré des kilomètres de péloches horrifiques, Ti West est bien conscient de cela. Alors il attaque le sujet de front. Dans X, le cinéaste américain nous replonge dans les années 1970, au cœur de l’arrière-pays texan. Un petit groupe de jeunes ont loué un ranch au milieu de nulle part pour y tourner sans être dérangés un film porno. Maxine, lolita coquette et cockée, a des rêves de grandeur. Le marché de la vidéocassette est sur le point d’exploser, les mœurs se sont libérées : il y a moyen, pense la bande, de faire fortune. Mais les propriétaires du lieu, un couple de vieillards décharnés et inquiétants, ne sont pas de cet avis…Dans le film culte Massacre à la tronçonneuse, Tobe Hooper opposait à la génération hippie une version dégénérée de la famille traditionnelle américaine – le monstre Leatherface incarnant une variante cannibale et Grand-Guignol de la mère au foyer.
Ici, Ti West propose un nouveau duel : ceux qui s’apprêtent à monétiser la révolution sexuelle via le cinéma X, font face à une Amérique puritaine, vieillissante, aux désirs frustrés. Ici ce n’est pas le sexe qui tue, mais son absence. Ici, ce n’est pas le désir sexuel qui condamne moralement les protagonistes à passer par le fil du poignard, mais le fait qu’ils souhaitent en faire commerce. Ici, pas de tronçonneuse ni de masque en peau humaine, mais Pearl, une femme écrasée par le poids de l’âge – Ti West interroge aussi notre regard sur le vieillissement des corps, particulièrement féminins, exclus du périmètre du désirable.
C’est cela qui est admirable dans X : sa capacité à créer du discours politique et stimulant, tout en emballant un sacré morceau de viande et d’hémoglobine, parfait pour une soirée trouille entre amis. Le montage s’avère particulièrement ludique, sans perdre de vue le signifiant. Ti West est un petit malin : goguenard, il entremêle pornographie et horreur dans une séquence où les plans du tournage du film X répondent à une scène de meurtre, avec pour point de convergence le motif de la pénétration.
De quoi donner le point aux puritains ? Loin s’en faut. Si la nature du monstre lève déjà toute ambiguïté, le choix de la final girl fait exploser la frontière rassie entre la sainte et la putain, et donne au film une note très girl power. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si Ti West compte boucler une trilogie autour de ses personnages féminins, avec un opus dédié à l’antagoniste (Pearl, déjà en boîte et présenté en septembre à la Mostra de Venise) ; et MaxXxine, dont le tournage n’a pas encore commencé. Autant dire que, de peur ou de plaisir, on a hâte de frissonner à nouveau.