Et donc comme Dupieux s’emmerdait pendant la projection à Cannes, l’année dernière, de Fumer fait tousser, dans la mesure où il connaissait le film par cœur, en connaissait chaque secret et chaque recoin, après tout c’est son film qui était projeté, il a eu envie d’écrire un… «truc spécial» pour Raphaël Quenard quand il a (re)vu l’acteur lors d’une scène. Et donc Dupieux a écrit ce… «truc spécial». Et puis il a demandé à Blanche Gardin et à Pio Marmaï d’y participer aussi. Et en six jours ils ont tourné ce… «truc spécial» dans un théâtre parisien qui s’appelle Yannick et qui parle de (coïncidence ?) Yannick, spectateur lambda d’un (très) mauvais vaudeville (Le cocu) joué par de (très) mauvais comédiens, décidant soudain, parce qu’il s’ennuie et parce qu’il est venu ici pour se détendre et parce qu’il vient de loin (de Melun), de l’interrompre et d’y mettre son grain de sel. De se faire entendre. De reprendre le contrôle et de la soirée, et surtout de la pièce.

Le dispositif narratif élaboré par Dupieux consistera donc à sabrer, ô sacrilège, l’indéfectible loi de la séparation de la scène et de la salle. Des artistes et du public. Ce public anonyme qui se doit de se taire, de vivre ses émotions en silence et d’émettre, éventuellement, une critique plus tard, à l’extérieur de la salle, et jusque-là la seule option, le seul «pouvoir» qu’il avait était de quitter cette salle (d’un théâtre ou d’un cinéma, ça fonctionne pour les deux) si ça ne lui plaisait pas tout en vociférant son mécontentement à la ronde, la tête haute et le mépris glorieux. Sauf que Yannick, lui, tel un héraut de ce public qu’on n’écoute pas, ce public laissé dans sa fosse, reste à l’intérieur. Et ce pouvoir, il le fait sien à sa manière (et avec un revolver à la main, ça aide vachement) en écrivant, in situ et tant pis si ça prend du temps, une autre, et courte, et plus drôle, et avec des fautes, pièce.

Pièce qu’il donnera ensuite à jouer aux trois comédiens du Cocu, et en allant à la rencontre du public qui, de fait, ne reste plus, là simplement dans l’ombre, là sur son siège rouge, anonyme, mais devient acteur à part entière de ce qui se joue dans cette salle de théâtre (et non plus sur cette scène) où la création artistique prend une nouvelle tournure, s’autorise de nouvelles frontières, où les masques tombent, où les codes s’annihilent. C’est tout qui se dérègle, dans Yannick. Et Dupieux, dans l’espace d’un huis clos aux fonctions sabotées, exprime l’air de rien, à travers Yannick, comment une œuvre d’art, et qu’importe qu’elle soit un film, un livre, un tableau, une pièce de théâtre donc, peut être remise en cause. Ressentie (ahhh, le subjectif…). Questionnée. Rejetée d’autant plus facilement que les réseaux sociaux ont, aujourd’hui, pris une place importante dans un champ critique qui s’est ouvert à n’importe qui (la preuve), et plus seulement aux «professionnels de la profession».

Mais Dupieux ne s’arrête pas là et, in fine, montre comment une œuvre d’art peut, sans prévenir, vous bouleverser, vous pénétrer, vous porter, et cette monstration passera par cet instant magnifique où Yannick, touché par l’émotion et par une forme de grâce (a-t-il une épiphanie ?), verse quelques larmes face à ce qu’il a créé et face à sa réception, avant que la réalité, brutalement, ne vienne se rappeler à lui. On regrettera quand même que Dupieux n’est pas poussé plus loin sa mise en abyme (mais Dupieux l’a expliqué, «J’enlève toujours le gras pour ne pas me faire plaisir à faire durer mes images […] Je coupe beaucoup, j’élague, et ça fait ces espèces de formats très courts qui, pour moi, sont la perfection»), condensant trop, beaucoup trop, en à peine une heure, ce qu’il avait à dire sur l’art et la condition du spectateur, et les rapports éminemment complexes entre les deux, et laissant comme un sentiment de frustration à la fin parce que nous on jubilait ferme, nous on se régalait de la rébellion (et de sa logique, et de sa hardiesse, et de ses conséquences) de Yannick, notre héraut de Melun.

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mymp
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le 4 août 2023

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