Trouver, de nos jours, les bons mots pour traiter certains sujets essentiels et parfois difficiles, n’est pas chose aisée. Pourtant, cela ne nécessite pas de couper les cheveux en quatre, comme peut le prouver Youssef Salem a du succès, un film simple d’apparence qui a bien des choses à dire.
En intégrant directement le spectateur dans l’écrit de l’auteur qui nous narre son histoire en voix-off, Youssef Salem a du succès établit directement une connexion entre réalité et fiction. Une fiction qui se dénonce progressivement au gré de l’accumulation d’événements de plus en plus improbables et grotesques, qui cachent cependant toujours un fond de vérité. Youssef fantasme les membres de sa famille pour les tourner en ridicule, les mettre en contradiction avec les valeurs et les vertus qu’ils prônent, en n’hésitant pas à se dénoncer lui-même, lui l’ado à la libido intenable, réfrénée par un environnement où les questions tournant autour du sexe sont tabou. Pour Youssef, il s’agit donc d’évacuer ce mal-être et de trouver un moyen d’exprimer ces frustrations endurées, mais ce qu’il pensait être une simple histoire de famille qui n’intéresserait pas grand monde va toucher bien plus de monde qu’il ne pouvait imaginer.
A l’histoire de famille vient succéder celle de l’auteur, qui va permettre d’élargir un peu les horizons et de confronter la vision d’un homme au tribunal populaire. Celui qui devait déjà faire face aux jugements de sa propre famille auparavant se retrouve à devoir supporter l’avis d’inconnus qui imposent leur propre vision des choses à Youssef. Mais cela ne concerne qu’une petite partie de ce que vient exposer Baya Kasmi avec son film. En effet, Youssef Salem a du succès cherche à montrer comment le poids des traditions peut être supporté, quels sont nos liens avec nos origines, notre appartenance culturelle, la perte de communication avec ses proches, l’héritage que nous portons, et ce toujours avec une certaine justesse.
Car s’il est certain que Youssef Salem a du succès n’a pas pour lui une véritable singularité en termes de mise en scène et de narration, il se rattrape par un traitement intelligent des thématiques qu’il souhaite aborder. Grâce à une riche palette de personnages, certes très caractérisés et bien à leur place dans le développement du récit, le film confronte son héros à ses propres démons et à ses certitudes, multipliant les points de vue, souvent dans un joyeux brouhaha qui laisse entrevoir des éléments éclairants sur ce que le film veut nous raconter. Au gré des rencontres, des fêtes et des disputes se dessine cet éloignement qui s’est créé, cette peur finalement injustifiée, devenue relative par rapport à d’autres événements, et ce qui paraissait personnel devient universel.
La simplicité n’empêche donc certainement pas à un film d’être pertinent et d’une grande richesse, Youssef Salem a du succès en étant la preuve. Une manière intelligente d’évacuer les tabous sur des sujets souvent considérés comme sensibles, propices aux stéréotypes et aux certitudes, en les traitant avec légèreté et pertinence. Le tout, en trouvant également de beaux moments d’émotions qui rendent le film particulièrement touchant. Une des belles surprises du cinéma français en ce début d’année.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art