Le destin croisé de deux vieux amis pleins de questionnements, mais pas complètement dépourvus d'ambitions. Il s'agit surtout d'une quête de leur dernière volonté commune, celle d'accomplir une œuvre testamentaire. Fred et Mick semblent d'abord avoir un point de vue opposé sur cette idée. Le musicien persiste à baisser les bras, le cinéaste persiste à monter des films. L'un apparait résigné et n'envisage pas d'avenir; l'autre croit en un projet, le film parfait pour marquer sa vie dans les mémoires. Cette dualité se confronte dans une certaine douceur, les deux amis finissent par se refléter et influer l'autre. C'est un beau parcours initiatique en tandem.
Cette villégiature menée par deux sages en pleine méditation est bien loin de sentir la naphtaline. La vieillesse resplendit dans ce film, aux antipodes de toute aspect vieillot. La vie déborde de toute part, chez chacun des nos "retraités" (quoique), mais aussi chez ceux qui les entourent.
Les rôles secondaires sont tous magnifiquement écrits, et portés avec une belle présence.
Paul Dano est formidable dans ce personnage d'acteur hollywoodien contrarié. Parfaite incarnation d'un artiste frustré et cynique face à ces choix de simplicité. C'est ce sentiment d'un parcours biaisé qui soulève l'introspection de Fred et Mick, et le propos du film. Mise en question de l'engagement personnel et intime de l'artiste dans son œuvre. Multiplier les points de vue sur cette interrogation permet d'éviter que le propos ai des allures de vérité absolue. Chacun verra dans ces trois personnages des artistes de notre monde. Paul Dano n'est d'ailleurs pas tout à fait dans un rôle de composition, mais bien des acteurs se reconnaitront dans ce parcours, le raccourci irait à le comparer à Johnny Depp. Harvey Keitel symbolise un cinéma redondant et dépassé, donc à beaucoup de réalisateur enracinés dans le paysage hollywoodien. On peut penser à Woody Allen, surtout dans la relation de ce personnage avec celui de Jane Fonda (grandiose et méconnaissable), actrice obsédée par l'idée d'être éternelle. Le personnage de Michael Caine (enfin de retour au premier plan) est plus intriguant. Il est bien plus renfermé et, semble-t-il, beaucoup plus froid dans ses créations, c'est avant tout de la pudeur qui se révèle, finalement on met toujours de soi dans une œuvre. Cette allégorie de notre pop-culture est belle et parfaitement complémentaire avec "Birdman".
Autre comparaison avec la merveille dIñárritu, la relation père-fille. Peut-être pas aussi brillamment écrite, mais pas loin d'être aussi fortement portée que par Michael Keaton et Emma Stone. Michael Caine sort donc de son personnage habituel de patriarche sage, pour plus de fragilité, il est touchant. Rachel Weisz est magnifique ! Sa fragilité est à l'évidence encore plus frappante, sans jamais tomber dans l’exagération.
Autre relation touchante, l'amitié de six décennies entre Fred et Mick.
Autour de ces protagonistes principaux, de poétiques parenthèses. Une masseuse fantasque et des exhibitions hypnotique et agréablement désuètes; tout cela dans une mise en scène fantastique.
La réalisation de Sorrentino est non seulement un spectacle admirable, mais elle illustre en plus le message cynique quant à l'état du cinéma. C'est une véritable leçon de modernité et de clairvoyance. Le décor tape à l’œil, la musique régale les oreilles, le tout dans un montage qui allie à la perfection le son et l'image. La bande-originale est belle et variée, des voix contemporaines et de belles notes classiques, et ce dès la première scène.
On pourrait reprocher une certaine lenteur au film, mais ce rythme fait partie de l'ambiance somptueuse et contemplative.
« Vieux mais pas obsolète », voilà une réplique (tirée d'un film sans rapport) qui résume bien le travail de Sorrentino sur ce film dépoussiérant et qui fait resplendir l'éternelle jeunesse.