Je profite d'une ivresse momentanée et d'un week-end assez chargé pour dégobiller sur cet objet filmique détestable. Précision qui importe : j'aime assez "This must be the place", j'adore "La Grande Bellezza", je n'ai pas vu "Il divo".
Le nouveau long métrage de Paolo Sorrentino, au joli titre italien "La Giovinezza" tristement traduit par son équivalent anglais pour la distribution française (heureusement on a échappé à ça pour le précédent), reparti bredouille à ma grande surprise à Cannes malgré une standing ovation visiblement due au duo de géants qui se partagent l'affiche, est une abomination cinématographique. Ca m'arrache littéralement la gueule de le dire, mais je déteste profondément ce film et ce qu'il me raconte.
Evacuons d'emblée les rares points positifs : Michael Caine est excellent dans ce qu'on lui demande de jouer et Sorrentino a pour lui une photographie la plupart du temps très léchée (Luca Bigazzi, chef op attitré du cinéaste) et quelques plans sympathiques. Mais c'est à peu près tout. Je trouve que Keitel cabotine, Rachel Weisz s'en sort assez bien (il faut dire que cette femme est sublime) mais tout, absolument tout le reste est grotesque.
C'est bien simple, passé la laborieuse installation - on est loin de la double claque inaugurale du précédent film - chaque scène, ou saynète, semble enterrer la précédente dans la médiocrité. Michael Caine fait de la musique dans sa tête avec des vaches. Des vieux gros riches blasés se font chier devant des spectacles creux dans un hotel de luxe (répétez à foison avec au choix, concert insipide, Mark Kozelek - toujours cool cependant -, cracheur de feu, mime et faiseur de bulle), des vieux gros riches blasés se font chier dans des soins de luxe hors de prix. Non seulement le film exhibe une misanthropie au cynisme décomplexé envers absolument tout ses personnages au point de faire passer certains des réalisateurs les moins aimants du genre humains (les autrement plus solides Haneke ou LVT, pour ne citer qu'eux) pour des bisounours, mais en plus tout se déroule dans une sorte de langueur affectée absolument insupportable. Un ennuyeux film sur l'ennui des nantis, en somme. Je ne vois pas comment défendre un objet pareil. C'est horrible d'être riche ? Les paysages spectaculaires de la suisse alpine sont surévalués ? C'est bien simple, chaque personnage secondaire ou tertiaire a "sa scène", son "miracle". Le couple mutique qui se déteste? Un grossier orgasme forestier. Le faux Maradona ? Une partie de foot tennis risible. Le moine shaolin qui lévite pas ? Une scène de lévitation. Tout est téléphoné dans le programme miraculeux, comme si le film était un duplicata vulgaire et sans inspiration de la Grande Bellezza, surprise et beauté indicible romaine en moins.
C'est terrible, mais un échec aussi sévère me fait comprendre soudainement pourquoi la presse "intellectuelle" française méprise à ce point Sorrentino. Ce film est l'objet qui leur donne parfaitement raison. J'adore toujours son film précédent, mais je me dis que le fait qu'il se passe à Rome et soit en quelque sorte une réactualisation du Roma da Fellini y joue beaucoup. Non seulement Fellini est un cinéaste infiniment supérieur (c'est une évidence), mais encore le style de filmage et le sujet du film sont beaucoup plus adaptés à son sujet (Rome, son passé, son présent, et quelques réflexions philosophiques sur l'art sans doute superficielles et donc assez grand public) que dans le cas de la Giovinezza, où la beauté vide des paysages suisses ou de l'architecture de la résidence de luxe font plus penser à un banal catalogue d'ameublement qu'autre chose. Les extérieurs ont quelque chose d'irrémédiablement factice, tandis que tout le reste touche à une vulgarité totale, en témoigne l'odieuse scène de Brenda / Jane Fonda défigurée, où Sorrentino tente vaguement de se la jouer Billy Wilder / règlement de comptes avec Hollywood. Le discours sur l'art, la vie, la mort, respire la philosophie de comptoir parfaitement lénifiante, et le décors luxueux mais impersonnels, au même titre que la mise en scène esthétisante finissent par se retourner contre le film pour en surligner la bêtise et la vulgarité.
Le dernier film de Sorrentino, verbatim transposé en Suisse de son précédent essai, est un échec sur tous les tableaux, qui laisse penser que ses détracteurs ont raison, que la réussite (controversée) de La Grande Bellezza n'était qu'un concours de circonstances, demeure surtout un impensable pensum d'une stupidité et d'une laideur effarante. Ni fait, ni à faire.