Moi qui d’habitude me pose comme défenseur du cinéma de Paolo Sorrentino je vais bien être obligé pour cette fois de m’abstenir de cette tâche, ça me fait presque de la peine car je m’attendais tellement à aimer ce film, j’en avais même fait un de mes favoris pour tenter de sauver cette bien terne année 2015, en vain. Après La Grande Bellezza le réalisateur italien explore encore une fois la vieillesse, ce temps qui passe et où la vie perd sa substance en ne laissant que regrets et réminiscences, toujours ce regard pessimiste sur le monde qui l’entoure, un air de déjà vu ?
Car oui, Youth m’a semblé être une sorte de remake camouflé de l’excellent Grande Bellezza, mais ce coup ci avec des stars américaines en guise de vitrine, c’est la seule chose que je craignais à vrai dire, cette volonté d’appuyer avec insistance et redondance là où le public veut être touché et amusé, avec la maladresse inhérente à ce genre de transposition hollywoodienne, et c’est exactement ça. Sorrentino s’est sans doute mis dans l’idée de revenir à Cannes deux ans après s’être fait coiffé au poteau par Kechiche et sa Vie d’Adèle pour décrocher la très prisée Palme d’Or, et résultat il est encore reparti bredouille, quand ça veut pas vous me direz … Seulement à force de tirer sur la corde ça fini par péter, et pour le coup Paolo ne fait pas illusion de par cette volonté affichée de plaire par tous les moyens sans prendre soin au préalable de retirer ses gros sabots. C’est triste. De même intrinsèquement son dernier long métrage ne manque malheureusement pas de défauts.
Les parallèles à son œuvre précédente font qu’en ce maestro campé par Michael Caine on retrouve tout à fait le cynisme du personnage de Jep Gambardella, le masque du deuil, ce détachement irrévérencieux, jusque dans l’allure classieuse, tentant de renouer des liens avec Lena (Rachel Weisz), sa fille à l’éducation bafouée, dans cet hôtel luxueux perdu dans les montagnes suisses. On a d’ailleurs droit au passage à une belle palette de personnages : le réalisateur et beau frère de Ballinger (le monde est petit) Mick Boyle (Harvey Keitel) ayant pour ambition de pondre son testament filmique en se retranchant avec son équipe de scénaristes; l’acteur dépressif Jimmy Tree (Paul Dano) peinant à s’extraire de son image de one-shot-hero; une bedonnante ex-star mondiale du football en cure de remise en forme (♫ olééé olé olé olééé Diegooo Diegooo ! ♫), la sculpturale et plantureuse Miss Univers, un gosse bossant son violon jusqu’à hérisser les petits poils des oreilles de notre maestro, un type barbu et farouche trainant autour de Lena, etc.
Ce qui fonctionne dans ce film c’est la complicité entre Caine et Keitel, ils font un boulot formidable, leurs scènes de colloque enchaînant les arrières plans somptueux et intimistes donnent un ton juste en terme d’interprétation, et cela malgré une certaine pauvreté d’écriture, ou du moins d’un script dépourvu de bonnes idées et manquant cruellement de sensibilité et surtout de subtilité. Car pour un film traitant la vieillesse il ne nous met à aucun moment en émoi, et là c’est extrêmement dommageable parce qu’à mon sens tout se devait de tourner autour de ce côté touchant et cruel de la fin de vie, des regrets douloureux, de la dernière ligne droite, pour transparaitre de tous pores avec une extrême sincérité. Il n’y a qu’un passage véritablement intéressant dépeignant cette représentation, et d’ailleurs très beau, où les jeunes mains d’une masseuse viennent pétrir la peau froissée de Ballinger, l’unique moment de grâce du film (avec peut être l'entrée vaporeuse et lumineuse de Miss Univers dans la piscine face aux yeux médusés des deux vieux briscards), car pour le reste c’est un peu de l’esbrouffe il faut bien le dire, le lyrisme de certains personnages, celui de Dano en tête, sonnent complètement faux et donne l’impression que chacun a son petit mot brillant à placer sur sa condition malade, au final c’est ce manque de pluralité des caractères du panel de cet hôtel qui est étrange.
Après j’ai bien compris que le réalisateur voulait aussi jouer la loufoquerie, c’est un parti pris qui peut évidemment se défendre mais personnellement je ne vois pas en quoi ça sert le film et son sujet, le rendu s’en retrouve même parfois involontairement ridicule alors qu'il ne devait, je pense, absolument pas l'être, comme lorsque le perso de Caine orchestre les cloches des vaches, on se croirait presque dans une pub pour du chocolat suisse, c’est vraiment ça le projet ? Ou Maradona et sa séance de jongles improbable, il aurait juste fallut se contenter de ce regard envers cette balle perdue sur le court de tennis et lui suffoquant, ça c’était pas mal du tout, mais à l’arrivé le ressenti est à la limite de la bêtise purement inutile. C’est assez terrible de constater à quel point l’émotion ne marche quasiment jamais, qu’elle soit mélancolique ou truculente, Sorrentino veut nous mixer une sorte de cocktail mais le mélange s’écoule sans véritable saveur, c’est le principal problème. Malgré tout le cadre reste toujours impeccable, là il n’y a rien à dire, la photographie est de très bonne facture, Sorrentino brille par son sens du formalisme épuré, de plus la bande son est assez variée et plaisante pour donner un minimum de personnalité au dossier, mais ça ne suffit pas.
Ce fameux background haut perché peine à distiller sa beauté cachée, ses ambivalences, cette passerelle entre la vieillesse et la jeunesse se montre même trop évidente, tout est dit et affiché alors que cela méritait justement d’être plus évasif et mutique pour laisser au public son propre ressentiment, ses sensations, et non par le biais d'un matraquage symbolique exacerbé si ce n’est caricatural. Cet hôtel devait à mon sens être un purgatoire féroce visant à absoudre les âmes égarées, nous bombardant de longs moments de silence, se laisser aller à la contemplation totale, à la sacralisation (sans lévitation grotesque), proposer quelque chose d'un peu plus austère pour la contrebalancer vers une fraicheur (re)naissante. Et pourtant il y a des éléments qui vont en ce sens dans le film, le manque d’oxygène, l’espace majestueusement clôt, l’élévation, l'aveu, la chute, mais tout est maladroitement exploité par cet abus de palabres sans fond et beaucoup trop "écrites" pour être foncièrement sincère par rapport à son propos.
Youth est ma première vraie déception chez Sorrentino, à la hauteur de l'attente, une tentative vaine et poussive de percer à Hollywood avec tous les codes identifiables du m’as-tu-vu classique, dépourvu de réelle sensibilité, l’excès de balourdise fini par se retourner contre lui, tellement que le message de son film ne provoque qu’une indifférence édifiante. Le père Paolo devrait plutôt s’en retourner dans sa grande Botte et se remettre au boulot afin de redorer son blason et retrouver la grâce, la vraie.