Très déçu – surtout après le choc de la Grande Bellezza.
Sorrentino tente bien de creuser le même sillon – mais le cadre déjà ne s’y prête pas : les alpages suisses (comme des cartes postales) n’ont pas la densité, encore moins la beauté de la Rome éternelle ou fellinienne ; et le palace thermal et sa piscine curative lorgnent en vain du côté de Budapest, histoire de poésie sans doute.
Dès lors, toutes les grandes questions, la jeunesse et la vieillesse (ou l’inverse), mais aussi l’art, ou encore, pendant qu’on y est, l’amour, la vie, la mort, la santé, l’air des cimes, tout cela tombe rapidement à plat – même si le film ne manque pas de belles trouvailles, esthétiques surtout …
Autour de ses deux très vieillards, en quête de jouvence, pour le cerveau et la prostate (Michael Caine, plein de classe, meilleur que Harvey Keitel, trop cabotin sans doute, mais sa fonction de metteur en scène ne rend-elle pas ce défaut-là crédible, et très autocritique ?), le musicien illustre et le réalisateur célèbre, le même homme peut-être, en positif et en négatif – autour d’eux donc s’agitent, assez vainement, toute une galerie de personnages insolites : la fille du musicien, dépressive pour cause de rupture sentimentale, une jeune escort dépressive, un couple toujours silencieux, sauf quand ils s’expriment par les coups, les coscénaristes du metteur en scène, une jeune masseuse avec appareil dentaire, un bonze (à la façon de la nonne dans la Grande Bellezza ?), Maradona, une chanteuse de variétés et plus tard une diva (Paloma Faith et Sumi Jo dans leurs propres rôles), Jane Fonda comme image de la jeunesse toujours entretenue mais ici très fanée, des enfants (pleins de sagesse, évidemment) et plus tard, loin de l’hôtel, le couple Stravinsky (sous la forme de pierres tombales) ou la Reine d’Angleterre et le prince Philip, très amateurs des œuvres du musicien.
On croise aussi un acteur plus jeune (Paul Dano, un peu exaspérant), sans problèmes avec l’âge, mais désolé semble-t-il de n’être reconnu qu’à travers un personnage de super-héros dont on ne voit jamais le visage. Alors il finit par se déguiser en Hitler ( ?), et tout le monde le regarde (et puis ?), et par évoquer l’importance, l’essentiel de l’émotion – sans que le sens et l’intérêt de son rôle apparaisse jamais …
Miss Univers aussi, très belle, très intelligente (à la grande surprise des autres), très nue aussi dans la fameuse piscine – où les deux octogénaires réunis prennent peut-être conscience de son identité – « Dieu ! », sans doute en inspection dans son palace purgatoire.
(Et on commence à constater que la quête des deux compagnons de cure est sans doute essentielle, mais fort peu originale et déjà énoncée dans des vers célèbres par le vieux Corneille).
On a droit aussi aux numéros proposés par le palace sanatorium à ses hôtes (sans intérêt) et à quelques rêves, cauchemars plutôt, de quelques-uns.
Pour aller où ?
Sorrentino, fidèle à ses principes, montre tout – la beauté extrême et la laideur encore plus extrême (et étalée avec complaisance). Le beau se confond avec le vrai, avec la vérité assumée des corps abîmés. Dès lors il suffit de regarder (avec les yeux, avec le corps), d’oser regarder, pour attraper, dans ce désastre apparent, la seconde de beauté et d’éternité. Ce n’est pas inintéressant, pas vraiment nouveau non plus, et assurément moins bien exprimé que dans American Beauty.
Et dès lors chacun peut trouver sa seconde de route beauté, le bonze peut entrer en lévitation, Maradona obèse s’offrir une étonnante séance de jonglage avec une balle de tennis, le couple mutique donner dans un orgasme fracassant et ultrasonnant contre un tronc d’arbre suisse (sous les yeux de nos deux compères en observateurs fascinés), et la fille du musicien toucher à l’apesanteur dans les bras d’un nouvel amant, alpiniste de surcroît. La beauté est là, il suffit de regarder.
La beauté, ou la vie, ou la jeunesse sont aussi affaire d’altitude. Plus le film avance, plus les élévations se multiplient : le bonze ou la balle de Maradona, l’amour en altitude pour la fille du compositeur et son alpiniste, mais aussi l’arrivée saugrenue d’un parachutiste sur un pré tout proche. Ou encore, mais cette fois en négatif, avec la menace de la chute : Jane Fonda hystérique tentant de sauter d’un avion, où l’ultime plongeon, hors champ, du metteur en scène.
Les leçons tirées, et les parcours consécutifs, de Fred Ballinger (M. Caine), et de Mick Boyle (H. Keitel), se résolvant bien sûr dans la personne de Sorrentino pour un nouveau plaidoyer pro domo, se révèlent donc parfaitement contradictoires. En trois temps :
- Le musicien a pris, définitivement, sa retraite – avec le souvenir morbide de son interprète perdue, sa femme, et l’impossibilité en conséquence de poursuivre. La réalisateur est en pleine activité, pour un film ultime, son testament, avec sa petite armée de scénaristes (très en panne) et pour un hommage à la femme qu’il a toujours admirée et aimée.
- Le musicien ose pourtant franchir le pas – sortir du palace/mouroir, se rendre sur les tombes, côte à côte, des Stravinsky, retrouver sa femme, muette, hirsute, égarée dans la chambre d’un hôpital psychiatrique (et là encore, le plan sur son visage halluciné et défait, collé à la vitre, ne sera pas sans complaisance). Le réalisateur par contre essuie le rejet méprisant de la femme aimée qui refuse de paraître dans son film et le traite, en gros, de vieillard décati (après quelques plans rapprochés sur leurs physiques très usés).
Et à l’arrivée le musicien retraité reprend sa baguette pour un concert «royal » (avec une musique, objectivement, bien pénible), ponctué de quelques visions « édifiantes » (sa femme confondue avec l’image de la cantatrice) et conforté par l’avis ultime du médecin du palace alpestre, « vous êtes en parfaite santé ». Au contraire, le réalisateur, jusqu’alors actif abandonne son film, son équipe, abandonne tout …
Bref, il ne faut jamais renoncer, beauté et santé (et jeunesse éternelle) sont à ce prix– « grande » morale pour laquelle cela valait sans doute la peine de convoquer bonze, alpiniste, Reine d’Angleterre ou Miss Univers …
On peut arrêter là cette analyse très approximative pour qu’elle ne devienne pas aussi vaine et aussi creuse que ce film – définitivement plus confus que profond. Presque simpliste. Accessoirement complaisant. Inutilement abscons – ce dernier mot me semblant plutôt opportun pour conclure.