Le problème que posait Youth de Sorrentino à sa sortie est le même que posait son précédent ouvrage La Grande Bellezza, quant à son extravagance qui divise à la réception. Sorrentino ose en montrant et en ne montrant pas et certains s'y perdent en affirmant qu'il ne montre rien.
Le tableau qui se dessine devant nous pendant 1h58, traite de cet état complexe qu'est la vie et toutes les thématiques (ou problématiques) qui en découlent. On nous invite ici à voyager dans cet espace subtilement onirique où le temps paraît en suspension. La découverte des lieux et des personnages se fait par le placement d'images anachroniques que sont les nombreux plans de coupe picturaux qui rythment l’œuvre. On y voit apparaître l'individualité des personnages résidant dans la station thermale, en arrêtant le temps sur bon nombre d'entre eux presque aléatoirement, car sans justification scénaristique visant à faire évoluer l'histoire. La station thermale pullule d'humains de tous âges et de toutes origines et on nous laisse y apercevoir leurs corps et des bribes de leurs histoires. Certains personnages incarnent des tabous sociétaux, le temps s'arrête et nous invite à penser, les différentes générations échangent et se complètent, elle s'enseignent mutuellement.
La lenteur du rythme nous laisse prendre le temps de faire réellement connaissance avec les protagonistes et intensifie crescendo notre empathie. On prend ici donc le temps de rentrer à l’intérieur même des personnages, qu'ils soient récurrents ou figurants, en y découvrant leur mode de fonctionnement intime. Sorrentino joue avec nous sans retenue en nous faisant rire ou pleurer, en nous gênant et en nous mettant en colère quelques fois mais surtout en nous intriguant par des plans ou des détails qui n'existent qu'en tant que suggestions de thématiques ou ouvertures sur d'autres histoires possibles. C'est la où demeure tout l’intérêt de l’œuvre puisqu'elle peint dans une démarche surréaliste, cette ballade contemplative qu'est la vie, en nous montrant que l'on peut choisir de s'arrêter un peu avant de prendre un chemin, que l'on peut se tromper de chemin mais surtout que l'on choisit toujours un chemin à défaut d'un autre. Il nous montre aussi que certaines choses sont là, elles existent mais nous échappent et que les émotions sont les seules choses qui permettent de faire l'expérience de la vie.
On voit les protagonistes évoluer dans cette micro-société qu'est la station thermale, hantés par leurs passés respectifs. Deux profils d'octogénaires se dessinent alors : un cinéaste reconnu se voit être hanté par la vie tandis que l'autre, compositeur de renom, l'est par la mort. Dans cette évolution leurs chemins de pensée se croisent allant même jusqu'à s'inverser.
La problématique de la jeunesse, bien qu'étant centrale, n'en est qu'une parmi la multitude de thématiques dans lesquelles Sorrentino nous offre de nous aventurer.
Comment assurer la pérennité de notre jeunesse et de notre existence ?
Il propose des réponses en soulevant finalement d'autres questions de l'ordre du contrôle de soi, de la famille, des relations sociales et de l'acte de création, de la mort, du choix, de l'affrontement des peurs, de l'amour, de la solitude, du désir, du deuil, de la transmission intergénérationnelle du savoir...
Il existe un parallèle entre les séquences de vie pittoresques qui contribuent de manière inhérente à l'atmosphère de la station thermale, mises en scène de manière très géométrique avec des jeux de mouvements et de couleurs, les imposants paysages montagneux extérieurs à la station dignes d'être peints et d'autres séquences, qui quant à elles il est vrai, touchent au vulgaire quelques fois. Entre autres la séquence de rêve du personnage de Rachel Weisz. Mais il y a également les corps que l'on découvre, des corps jeunes, vieux, beaux ou laids, placés comme témoins du temps qui passe, des corps que l'on a même envie de toucher car toujours magnifiés et à plusieurs reprises mis en scène dans une esthétique du clip.
Néanmoins les partis pris sont assumés et justifiés puisque les codes du populaire que l'on retrouve tout au long du film sont là pour être critiqués. L'époque contemporaine y est critiquée pour sa superficialité notamment via le personnage d'Harvey Keitel réalisateur écrivant son « film-testament » et de surcroît elle est rendue ridicule sans retenue et sur un ton sarcastique. Youth est une invitation à venir penser dans cette bulle où l'espace, le temps et le champ des possible se mélangent de manière crue et qui pour être saisie dans son intégralité ne peut se contenter d'un seul visionnage.