Yves Saint Laurent, sa vie, son oeuvre. Programme passionnant sur le papier dont il ne résulte, dans les faits, qu'un biopic tellement pétri d'académisme qu'il en devient indigent. Si vous ne saviez rien de la mode avant d'entrer dans la salle, vous n'en saurez pas plus en la quittant: plutôt que de s'intéresser, voire même effleurer l'oeuvre du célèbre créateur, Jalil Lespert préfère s'intéresser aux amours, aux anecdotes, accouchant d'une succession de vignettes sans cohérence et sans ampleur, et surtout ne portant aucun intérêt à l'art de l'homme dont elles prétendent restituer la vie, pourtant toute dévouée à son travail. Il y a bien une ou deux pistes lancées sur le statut de la mode, art mineur ou bien majeur?, qui resteront clouées au factuel et à l'anecdotique. Un blasphème d'autant plus dur à encaisser que le mécénat de Pierre Bergé permet au film de jouir des plus belles pièces créées par Yves Saint Laurent. Mais Jalil Lespert échoue à illuminer son film de la plus basique étincelle du biopic d'artiste, de celle qui fait le lien entre le privé et le public, entre l'intime et l'artistique.
En cause, évidemment, la mise en scène. Classique à outrance, elle se contente d'illustrer des scènes sans intérêt avec la régularité d'un métronome, prises dans l'enchaînement quasi systématique plan large, plan rapproché, champ/contrechamp, dé-cadrage. Quelques fausses bonnes idées tentent de donner le change: que ce soit par sa photographie, suivant le passage des années avec un didactisme saisissant (les années 50 sont ainsi sombres et dé-saturées, les années 60 doucement surexposées, et les années 70 colorées à outrance) ou par sa musique, omniprésente et parfois hors sujet, la mise en scène, prise dans un tourbillon de clichés, confine au roman photo de luxe. L'interprétation, l'argument principal du film, semblait taillée pour changer la donne. Et si elle s'avère plus que satisfaisante, elle n'est pas nécessairement sans défauts. Guillaume Gallienne, au demeurant plus que convaincant, finit presque par irriter tant son personnage repose sur le triste décalage de sa rigidité confrontée à la décadence de son amant. Dans le rôle de ce dernier, Pierre Niney oscille entre l'excellent et le désincarné, livrant notamment dans les explosions dépressives une prestation apparemment plus concernée par sa cinégénie que par la véracité de la maladie, manifestement pas aidé par une écriture reposant sur la simplification, voire la négation psychologique à outrance.
Même triste constat chez les personnages secondaires. Extraits de tous développements capitaux, le film se concentrant principalement sur la relation entre Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, ces derniers ne reposent que sur le mécanisme éculé d'attraction/répulsion, et sont écrits non pas pour exister, mais uniquement pour servir le peu de rebondissements que le scénario se sent obligé d'aligner. Ainsi, la disparition du personnage de Victoire s'avère symptomatique de toute l'écriture du film. Jamais ne seront abordées les répercussions du départ de celle qui, en plus d'être une des têtes dirigeantes de la maison Saint Laurent, était aussi un soutien public de choix, via son mari, Roger Thérond, directeur de la rédaction de Paris Match. Elle se contente de claquer la porte, et de disparaître tout à la fois de l'esprit des autres personnages, du scénariste et du cinéaste; et évidemment, si ce n'est par une scène de sexe surréaliste, les causes comme les conséquences de cette soudaine répulsion ne seront jamais explicitées de façon satisfaisante. Même constat pour Loulou de la Falaise, tout juste introduite pour ensuite annoncer de façon péremptoire "Yves m'a demandé de travailler avec lui". Fascinant. Pour quoi faire? Sortir les poubelles de la maison? Garer les limousines? Sachant que Loulou de la Falaise a créé des bijoux pour la maison jusqu'à la retraite d'Yves Saint Laurent, y compris pour la fameuse collection Russe qui sert de paroxysme au long-métrage, un étoffement de son rôle s'imposait dramatiquement; au lieu de ça, Loulou devient presque le symbole de la paresse du film, de son absence de volonté vis à vis de son sujet. Traité sur le mode de la page people plutôt que sur celui de l'hommage, plus Jean-Pierre Pernaut qu'Anna Wintour, le film s'abîme dans les lieux communs du tourment artistique, reposant presque exclusivement sur la triade de la mélancolie, du tourment et de la pulsion sexuelle; "d'une aberrante vulgarité", aurait dit Yves Saint Laurent, et pas à demi-mot, à l'inverse de ce biopic qui, lui, tente de se limiter par facilité à la moitié la plus racoleuse de son sujet.