Comme une bouteille de vin d'un certain âge qu'on viendrait à boire après plusieurs dizaines d'années, il y a le risque d'être très déçu. Pourtant, tout a bien décanté et il s'agit d'apprécier, par delà le film, le temps qui a passé.
C'est en premier lieu une réflexion sur l'individualisme et le courage, la mise en accord de ses propos avec ses actes et la responsabilité associée (Marc fuit les cercles de discussion révolutionnaires pour agir car on comprend vite que la théorie sans l'action lui semble stérile et insupportable. Cependant, il ne fuit pas ses responsabilités et rapporte l'avion).
C'est aussi un regard historique sur les courants politiques révolutionnaires qui traversaient les universités et qui dénonçaient pêle-mêle consumérisme, matérialisme, hiérarchies... (quelle ironie de constater de quoi la société américaine a accouché 40 ans après). Cette réflexion devient insistante sur la fin du film; cela a du être fort à l'époque mais le propos et son esthétique ont à présent perdu de leur intensité (en tout cas, c'est un bon moment pour écouter Pink Floyd...) C'est aussi un coup d'oeil sur la façon dont la jeunesse était considérée et qui montre l'intemporalité de la méfiance qu'elle suscite.
C'est également un regard sur l'émancipation féminine (la scène d'agression de Daria fait penser au Village des Damnés, avec ces enfants trop en avance sur leur âge et préfigurant la violence des générations à venir) et la libération sexuelle qui trouve son expression claire dans les scènes sensuelles (?) du désert.
Enfin, c'est un documentaire géographique magnifique avec les paysages du grand ouest à couper le souffle (litt. breathtaking). C'est dans cette immensité minérale dépourvue de toute vie que cette nouvelle Eve et ce nouvel Adam auraient pu refaire le monde, comme ils y aspiraient, mais finalement y renoncent ou s'en détournent pour revenir à leur condition antérieure. La révolution n'aura donc pas lieu. La fin du film passe par la mort de ce que Daria aime et la destruction de ce qu'elle haït. C'est une fin certes conforme à celle d'une révolution, mais nihiliste et qui augure d'une vie sans amour ou idole. Les années 80 peuvent arriver.
Hasard du calendrier, j'ai vu récemment The Bling Ring et on y retrouve des éléments communs (American Way of Life, hiérarchie médiatique, consumérisme, regard de la jeunesse sur la société et réciproquement). Et cependant, toute la dimension poétique du paysage contenue dans le film d'Antonioni, la réflexion utopiste, la distance vis à vis de la technique, ont disparu car elles n'intéressent manifestement plus personne. Ce périple jusqu'à Zabriskie Point permet de bien apprécier le chemin parcouru.
Techniquement, c'est une bonne claque visuelle avec quelques scènes longues, trop longues pour nous, humains de 2013. C'est un film à voir puis à revoir.